La timidité est la prison du coeur est un proverbe espagnol. Comme je l’ai écrit ailleurs, d’aucuns pensent que la timidité est la forme ultime de l’orgueil. Ce qui est compatible avec ce proverbe. On objectera que les termes sont antinomiques et que si la timidité peut éventuellement être la prison du coeur ce n’est en aucune manière une forme d’orgueil. Il me semble que c’est passé un peu vite sur la question et faire preuve de superficialité. La timidité est un manque d’assurance qui se révèle dans le rapport à autrui, plus précisément dans la difficulté à l’établir puis à l’entretenir. L’orgueil quant à lui peut être défini comme un sentiment exagéré de sa propre valeur mais aussi comme un sentiment de fierté légitime, ce qui est sensiblement différent. Dès lors il n’est pas impossible de considérer qu’orgueil et timidité puissent être étroitement liés. On peut à la fois concevoir un sentiment de fierté et craindre que celui-ci ne soit pas reconnu, que les autres l’érodent. La peur de ne pas être à la hauteur c’est une forme d’orgueil, il faut avoir un minimum de fierté pour avoir peur de l’éprouver. Si l’on en était totalement dépourvu on ne craindrait pas de souffrir de la voir heurtée. De la même manière il faut avoir un certain orgueil pour avoir peur de ne pas être compris, ainsi que le craignent beaucoup de timides.
Enfin bon, ce ne sont que des mots, ce n’est ni plus ni moins qu’un jeu de sémantique. Ceci manque cruellement de nuances, par faiblesse de langage et de temps consacré. Il y a autant de timidités que de timides, c’est comme pour tout.
Quant à moi (parce qu’on ne peut pas toujours se cantonner à la théorie) je suis timide et/parce que je suis orgueilleux mais ce n’est pas de mon seul exemple que je tire ce que j’ai écrit ci-dessus. J’en connais d’autres et d’autres personnes plus compétentes ont développé l’idée avant et mieux que moi. Bien sûr pour l’écrire ici je ne suis pas timide mais c’est facile de ne pas être timide le cul vissé sur sa chaise dans sa chambre le soir. Parfois je fais des choses qui vous ferait dire en tant qu’observateur que je ne suis certainement pas quelqu’un de timide. Seulement vous n’imagineriez pas l’effort qu’il m’en coûte tant pour dépasser ma timidité que pour vous laisser croire que ce que je fais est naturel et facile. La crédibilité compte souvent plus que tout comme au théâtre finalement. Si je suis assez convaicant pour vous persuader que c’est facile, ça l’est. Ca l’est pour tout le monde sauf pour moi, moi je le joue, je le sais. Ma réalité n’est alors pas la vôtre.
Je suis assez curieux du mécanisme de la timidité. Cet acte qui vous semble objectivement simple, courant (ce peut être des choses extrêmement simples, communes, banales), que vous voyez exécuté par d’autres avec une certaine aisance mais qui vous apparaît à vous irréalisable. Si l’idée de sa réalisation vous est concevable, la projection détaillée de cette réalisation vous apparaît déjà plus ardue. Vous imaginez différents scénarios en vous rassurant à propos du fait que vous avez les capacités de réaliser cet acte. Plus le moment de cette réalisation se rapproche et moins elle vous semble possible. Vous commencez à imaginer des scénarios d’échec. Dans le temps qui la précède immédiatement vous commencez à ressentir physiquement votre timidité. Vous ressentez une sensation d’oppression dans la poitrine, votre coeur se serre (imaginez que votre coeur soit le bouchon d’une bouteille de champagne, comprimé entre la pression du gaz et le carcan de métal qui l’enchaîne à la bouteille), votre gorge se noue, le sang vous monte aux joues plus ou moins longtemps avant. Vous avez les jambes molles, parfois vous craignez de tomber, tout bêtement tomber parce que vos jambes vous laissent en plan. Cela m’intéresserait de savoir dans quelle mesure ces sensations sont réelles, j’entends par là peuvent être constatées physiologiquement.
Parfois vous capitulez, et cruellement vous vous sentez mieux, soulagé. D’autres fois vous parvenez à vous surpasser. En général une fois lancé vous allez au bout, le carcan de métal a sauté et votre coeur a suivi immédiatement, les choses vont vite, au moins au début, vous vous retrouvez dans une sorte d’équilibre précaire, inattendu, presque un état de grâce. Puis vous êtes soulagé, mais ce n’est pas le même soulagement que celui évoqué précédemment. Quelque chose a changé dans cette seconde hypothèse, en dehors de vous, les réactions provoquées par l’acte que vous réalisé, mais aussi en vous, vous avez conquis une petite parcelle supplémentaire de vous-même.
Accessoirement ce proverbe me fait penser à un livre de Ray Bradbury, plus précisément à son titre : La solitude est un cercueil de verre. Ce n’est sans doute pas son oeuvre la plus connue. Je la décrirais comme un roman policier poétique (c’est pour la poésie qu’il met toujours dans son écriture que j’aime Ray Bradbury), catégorie finalement assez restreinte, mais pas inintéressante pour autant, puisqu’il ne me vient pas d’autre roman à y classer. Ce livre m’avait plu, presqu’autant que les Chroniques martiennes que j’avais vraiment adorées contrairement à Fahrenheit 451. Je trouve le titre excellent, c’est d’ailleurs pour cela que je l’avais lu.
(Il est temps de faire une petite pause, boire un coup. Je me rends compte que la clarté de mon propos est incertaine, et je crains qu’elle ne s’éteigne tout à fait, ce qui est le paradoxe suprême pour la clarté, avec la suite.)
Je reviens un petit peu en arrière, trois paragraphes en arrière pour être précis. La réalité est un de mes très vieux sujets de réflexion récurrents. Je crois que le champs de la réalité, ce que certains appeleraient peut-être la vérité, est finalement assez restreint, si tant qu’elle existe. Notre réalité subjective se limite à ce que nous percevons et à la façon dont nous le percevons. D’une certaine manière c’est une facette parmi des millions, des milliards peut-être, de la réalité objective. La seule et unique réalité pour chacun de nous est cette réalité subjective. Quant à la réalité objective je crois que personne ne peut la percevoir ce qui pose la problème de savoir si cela implique nécessairement qu’elle n’existe pas. Elle n’est pas préhensible en tant qu’entité, elle est mouvante et ne possède pas à proprement parler de forme. La réalité objective c’est peut-être Dieu. Il n’existe donc pas une réalité mais des réalités qui présentent entre elles des zones de convergence et des zones de divergence. Au-delà des difficultés liées au langage même (c’est un autre débat mais qui d’une certaine manière présente des liens avec mon histoire de réalité subjective : j’emploie des mots auxquels je donne un sens qui n’est pas exactement celui que mon interlocuteur leur donne, qui plus est ces mots s’inscrivent dans deux ensembles, environnements ou trajectoires au choix, différents qui, pour résumer, peuvent être caractérisés comme le fruit de nos évolutions personnelles et donc différentes. Quelle est de ce fait la distorsion que subit la pensée que je veux lui communiquer ?) ces zones de divergence constituent autant de brouillages et de distorsions dans la communication entre les gens. Par définition la réalité subjective ne correspond pas nécessairement à la vérité vraie ou même à la réalité subjective de votre voisin. On peut vivre très heureux en ignorant certaines choses qui nous rendraient malheureux mais qui tant qu’on les ignore n’existent pas pour nous, bien qu’objectivement elles aient une existence et participent à d’autres réalités subjectives.
Je vais prendre un exemple très simple. Vous vivez avec quelqu’un qui vous trompe. Vous l’ignorez (par exemple en raison de la délicatesse et de la discrétion de votre cher(e) et tendre, si tant qu’on puisse alors encore parler de délicatesse, mais ce n’est pas le propos, la chimie des couples est protéiforme). Pour vous la réalité c’est que vous vivez avec quelqu’un que vous aimez, que vous vous sentez bien ainsi. Il/Elle se partage avec quelqu’un d’autre, pour lui/elle c’est la réalité, mais pour vous cela n’existe pas, vous l’ignorez. Si vous l’apprenez vous serez malheureux parce qu’alors ça devient votre réalité aussi. Mais vous conviendrez qu’il est tout à fait possible de vivre heureux en étant trompé objectivement (c’est un fait) mais en l’ignorant subjectivement (ce qui est un pléonasme mais c’est pour insister). Entendons nous bien je ne cautionne pas “l’adultère” (prenez le terme dans une acception très large) je ne prends l’exemple que pour tenter d’être clair, ce à quoi je doute de parvenir mais j’essaye (timidité, orgueil, etc cf supra). La vie de couple est sans doute le plus vaste et le plus inépuisable sujet qui soit, bien plus que toutes mes turlupinades (il n’est pas évident à placer celui-là !), et je ne me lancerai pas dans le sujet aujourd’hui.
Je crois qu’il est illusoire de penser que l’on peut se raccrocher à une hypothétique Réalité qui serait commune à tous. Il n’y a que des zones de convergences. Finalement c’est peut-être là le revers de la conscience : une certaine part irréductible de solitude.
En écrivant tout ça je pense faire preuve d’une absence totale d’humilité. Ce qui est assez cohérent avec un de mes grands problèmes, ou plutôt une de mes clés : mon problème n’est pas de comprendre les choses mais de les accepter.
Je n’en oublie pas pour autant certaines considérations plus terre à terre mais qu’il est difficile de négliger : je suis saisi par le froid. Je suis désolé pour les lecteurs ou les lectrices (peut-être plus nombreuses, du moins si je me réfère aux gens autour de moi) frileux(ses) mais je n’ai que rarement froid, ce serait plutôt le contraire et je vis assez mal le fait d’avoir froid, ce n’est pas très agréable(après plusieurs heures où elles sont restées désespéremment froides mes mains semblent enfin retrouver une température agréable, peut-être parce que je tape et que le portable dégage un peu de chaleur). D’autant que là tout de suite il n’y a personne qui va venir me réchauffer.
Pour finir de me réchauffer il me reste Las Ketchup (mais non ce n’est pas pathétique, ne pas avoir mon grand lit et ma couette le serait par contre !) dont on a beaucoup parlé et que j’ai rajoutées dans le jukebox.