Il y a quelques jours j’écrivais : <i>J’ai du mal à comprendre les gens qui consacrent la quasi totalité de leur temps à une chose en particulier, un domaine, une activité</i>. J’aimerais bien pouvoir me concentrer ainsi sur quelque chose de précis. J’aimerais tendre ainsi vers un objectif en particulier plutôt que de me disperser sans cesse. J’imagine, peut-être naïvement, que je gagnerais à ne pas avoir le temps de me demander :
Est-on nécessairement coupable dès lors que l’on n’est plus innocent ?
Pourquoi ne voit-on pas les fées ?
La mer arrivera-t-elle jusqu’ici ?
A quoi sert de savoir toute l’horreur du monde ?
Qu’est-ce qui fait barrage au désert à part la mer ?
Le bouddhisme peut-il sauver le monde ?
Charlie Brown peut-il gagner ne serait-ce qu’un seul match ?
Les flammes joueraient-elles mieux sur un violon que sur une bûche ?
Est-ce qu’on ne peut pas faire quelque chose des églises ?
Si ça n’arrive pas tout seul comment est-ce que ça arrive ?
Jérôme, pour qui je fais un petit travail de <i>conseil</i>, me propose de m’associer avec lui. Je suis très honoré, d’autant plus qu’on ne se connaît pas depuis très longtemps (parfois je me dis que je dois avoir une bonne tête). Seulement ce n’est pas vraiment ça que j’envisageais…
Je déteste les lettres de motivation. J’ai toujours cette pratique ridicule. On ment nécessairement. Si encore il était acceptable socialement de jouer franc jeu ça pourrait être drôle mais ce n’est pas le cas. Alors tout le monde regarde les mêmes modèles, écrit les mêmes choses, etc Pour trouver du travail il faut mentir. J’ai passé l’après-midi avec Barbara. J’aime beaucoup Barbara mais il faut que je me rappelle qu’elle me déprime quand on parle sérieusement, par exemple quand elle corrige mon CV. C’est très gentil de sa part, c’est moi qui lui ai demandé et je sais qu’elle a raison mais :o/ Est-ce mieux de vivre d’illusions ? Pourquoi ne peut-on pas faire une lettre franche ?
…
Madame, Monsieur,
voici venu le temps de nous connaître mieux. Je suis resté à la faculté aussi longtemps que possible mais je dois aujourd’hui la quitter tant pour vous que pour ceux qui me suivent. Il revient à ma mémoire des souvenirs familiers… non, ce n’est pas à Charles Trenet mais à Jacques Brel que je pense : au suivant.
On m’avait dit de faire des études. Je l’ai cru. Tous les ans on m’a dit qu’il valait mieux ne pas s’arrêter et continuer encore. Bonne pâte j’ai continué. A la fac il faisait chaud et on pouvait s’asseoir pour boire un café et discuter. Au début on m’a raconté : <i>vous savez ce qu’on dit : le droit ça n’amène à rien mais ça mène à tout (sourire entendu)</i>. C’était plutôt rigolo. Chaque année j’ai levé les yeux vers l’année supérieure en pensant qu’avec ce que j’avais déjà fait ce serait dommage de s’arrêter. Je me suis pris au jeu. Finalement je termine sur un échec mais je voulais essayer. Je m’y réessaierai peut-être un jour mais je crois que je gagne à prendre un peu de recul avant. Bien sûr j’ai acquis un certain nombre de connaissances, même s’il semblerait que ça ne suffise jamais et qu’il faille toujours en faire plus.
J’ai la volonté d’être utile et la prétention de croire que je peux vous être utile. Vous l’avez compris : je veux travailler. Autant l’écrire dès à présent cette volonté recouvre une motivation financière mais je préfèrerais que cette dernière ne constitue pas notre seul lien. J’ai encore quelques illusions. Je les cite pour qu’elles ne disparaissent pas, comme on parle à un ami imaginaire. Cependant j’ai conscience de la nécessité impérieuse que je vous rapporte plus d’argent que je ne vous en coûte et je ferai mon possible pour réaliser cette condition. Je ne doute pas de votre profonde honnêteté et je suis sûr que vous saurez me rétribuer équitablement
Je ne possède sans doute pas le cursus le plus brillant qui vous soit proposé mais il m’a semblé comprendre que la personnalité des candidats au travail pouvait être prise en compte. Je ne prétends pas plus avoir une personnalité exceptionnelle, si tant qu’il y en ait. Je suis seulement moi et si nous devions travailler ensemble il pourrait être bénéfique, à mon sens, que nous ayions quelques affinités. Je n’ai que peu d’expérience, néanmoins j’ai déjà réalisé combien l’enseignement de la faculté était éloigné de vos besoins. Je suis de bonne volonté et il semblerait que je sois passablement intelligent.
Je vous prie de me répondre et au moins de me rencontrer.
Impatiemment / désespéremment / anecdotiquement / sérieusement / dynamiquement (j’hésite sur la formule de politesse)
Au fond je suis trop sensible et trop buté. Je résiste inutilement, je ne veux pas jouer le jeu. Je ne suis pourtant pas le dernier à dire qu’il faut faire avec si on ne peut pas changer le système. Au fond le problème est que je ne sais pas ce que je veux faire, à moins que je ne veuille pas me l’avouer. Barbara me dit : <i>Ca part un peu dans tous les sens</i>. Oui, ça part un peu dans tous les sens. Ca n’existe pas les emplois où il est nécessaire d’être polyvalent ? Il faut penser à sa carrière… Les expériences doivent constituer un ensemble cohérent… Je ne suis pas totalement borné. Je comprends tous à fait que l’employeur en face n’est pas beaucoup plus rassuré. Il doit se faire une idée rassurante, il doit faire un bon investissement (financier et <i>humain</i>, je ne voudrais pas que ce dernier terme soit mal interprété, il faut le placer dans son contexte, la plupart du temps on est embauché pour travailler au sein d’une équipe dont la qualité du travail dépend en partie des relations entre ses membres). C’est la loi du plus fort. Il n’y aura pas de place pour tout le monde, car le monde est injuste, et il faut se frayer un passage dans la foule. Il faut envoyer des dizaines, des centaines de lettres, <i>c’est comme ça</i>, il y a un problème ! Le problème il vient aussi de ce que j’ai voulu croire qu’on pouvait tout faire, que tout était possible et qu’en réalité c’est faux, et que la réalité rattrape et contamine ma foi. Albert Camus écrivait pourtant : <i>En réalité peu importe le chemin, la volonte suffit à tout</i>. Le serpent se mord la queue. Ou bien alors disons que c’est du théâtre ! Il faut jouer son rôle avec conviction et espérer qu’on saura trouver suffisamment d’intimité quelque part pour se retrouver.
Les lettres d’amour sont beaucoup plus agréables à écrire. Peu importe qu’on soit doué ou pas. Il s’agit d’être franc. J’en viens à me dire que je pourrais en écrire à une destinataire imaginaire.
…
mon amour,
la nuit est tombée et je me plais à imaginer que tu es peut-être ici quelque part dans l’ombre. La simple idée de ta présence même invisible me console. L’épaule de mon pull bleu conserve encore la trace de ton parfum. Je retrouve un cheveu de temps en temps. J’écris de “temps en temps” alors que quatre jours c’est si court… mais sans toi c’est si long. Je retrouve le temps de l’enfance, les heures interminables, les jours sans fin à attendre les vacances, le père Noël ou cet ami. Comme alors je m’endormirai tantôt en pensant à toi et peut-être seras-tu dans mon rêve. Mes pensées oréales te sont dédiées, la première et la dernière.
Je t’écris ce que je ne saurai te dire. Même à toi il est des choses que j’ai peine à dire. Des choses… c’est un mot bien dérisoire pour parler de toi. Oui, de toi, de toi dans ma vie. Mon orgueil cède à ton coeur. Je ne veux pas rester seul mais aussi je ne veux pas rester sans toi. Je dois te rassurer mais je ne sais le faire que parce qu’avec toi je n’ai pas peur. Je suis bien avec toi. Je veux m’endormir et me réveiller avec toi. Je veux te raconter mes histoires, je veux écouter les tiennes, je veux te regarder, te sentir, te toucher, je veux te consoler, je veux venir te chercher, je veux faire les choses avec toi, toutes les choses, les plus simples et les plus compliquées, les plus tendres et les plus passionnées, les plus sages et les plus folles, les plus courtes et les plus longues, les plus rouges et les plus bleues, les plus banales et les plus rares, les plus importantes et les plus dérisoires, les plus lointaines et les plus proches, les plus à refaire et les plus jamais, les pour et les contre, les plus grandes et les plus petites, et puis les autres, ou alors une seule chose mais avec toi, toujours. Je veux savoir ce que tu veux, ce que tu crois, ce que tu crains. Je veux savoir m’arrêter au seuil de ton jardin secret.
Ce sont des mots simples mais ce sont les miens pour toi. Ce sont les fruits du bonheur que tu sèmes dans ma vie.
Serge Gainsbourg chantait : “mieux vaut ton absence que ton indifférence”. S’il avait raison je ne crois pas que je survivrais à ton indifférence.
J’ai hâte d’être avec toi. Tu me manques. Prends soin de toi.
Je t’embrasse comme je t’aime, infiniment.
Qu’est-ce que la franchise quand on écrit à quelqu’un qui n’existe pas ? Ce ne sont pas de vrais mots d’amour, ce sont des mots tout court. Ils ne portent rien, ils n’apportent rien car ils ne sont pour personne. Ils sont comme les fleurs ou les fruits en plastique, il faut les voir de très loin pour les confondre avec des authentiques (je me permets de créer le nom pour l’occasion), des vivants. Ils n’ont pas de sens, ne contiennent pas de secret partagé à deux, pas d’histoire, pas d’avant ni d’après, ils ne rappeleront pas de souvenir. Ils ne sont même pas de la mauvaise poésie. On ne s’inspire pas du vide mais des autres, de leur absence, mais pas du vide, leur absence est indossociable de leur présence, l’absence s’enserre entre deux périodes de présence, ou signe la fin de la présence, mais par là-même son existence, même achevée. L’achèvement, l’accomplissement, la fin, la perfection. On retrouve toujours ses mêmes spectres. Je n’aime pas la fin pourtant j’ai tendu, je tends vers la perfection… en pensant que c’est un erreur. Je suis parcouru de contradictions et je me demande ce que je serais capable de faire si toute l’énergie que me coûtent ces contradictions et les angoisses qu’elles engendrent était canalisée et tendue vers un point précis.