Mercredi 29 mars 2006

Il fait enfin suffisament doux pour pouvoir garder les fenêtres ouvertes toute la journée.
Puisqu’on peut se doucher dans une douche et se baigner dans une baignoire, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas se lavaber dans un lavabo.
Moi, j’ai toujours voté à gauche mais quand même c’est inadmissible qu’on ne puisse pas licencier les gens sans motifs !
… Portail ouvert, attention à Appollo, chien sympatique mais énergique avec facheuse manie de sauter sur les gens pour dire bonjour (donc évitons pantalon blanc) ou de fouiller dans les sacs (ne rien poser à terre).
Aujourd’hui je me suis rendu à une réunion dans de magnifiques locaux dont j’ai appris en sortant qu’il s’agissait en fait de l’ancien hôtel de la fameuse Madame Claude…
Je me blesse souvent aux mains en m’obstinant à bricoler sans gants. Heureusement, c’est rarement sérieux et je ne me suis encore jamais fait recoudre jusqu’à aujourd’hui.
Je touche du bois car Jacques s’est sectionné le ligament du pouce d’un coup de cutter il y a quelques mois, ce qui lui a valu une opération.
Cela étant j’ai souvent un ou plusieurs doigts écorchés ou coupés.
Le week-end dernier en jardinant je me suis arraché un petit morceau de l’index gauche. La plaie que j’ai rouvert en changeant une roue quelques jours plus tard est déjà presque cicatrisée.
En observant mon doigt tout à l’heure je me suis fait la remarque que c’était celui qui portait le plus de cicatrices, une à chaque articulation.
Elle s’effacent progressivement mais je les vois toujours.
Je ne parviens à me souvenir de l’origine précise que de deux sur les trois.
extrait de César et Rosalie de Claude Sautet
En garçon soucieux de ma santé bucco-dentaire, je fais une visite annuelle à mon dentiste. Cet homme hautement recommandable me connaît depuis que j’ai des dents, ce qui ajoute d’autant à l’intimité que l’on peut avoir avec une personne qui, non contente de mettre ses doigts, même gantés, dans votre bouche, y introduit également divers instruments à l’aspect peu engageant.
Hier matin, j’étais presque heureux de le voir alors que j’avais prié intérieurement pour qu’il vienne me sortir de la salle d’attente car la musique ne me plaisait pas alors que ce n’était que le premier des trois titres d’affilée de la même chanteuse que l’animatrice avait annoncés.
Il est arrivé au moment où je me faisais la remarque qu’il était curieux d’espérer après son dentiste pour être secouru.
Moins de deux minutes plus tard j’étais allongé sur le fauteuil après qu’il m’ait fait cette fausse invitation classique à m’asseoir sur le fauteuil alors que je ne l’ai jamais connu en position véritablement assise.
Mon regard a été attiré sur la gauche par l’écran qui se trouvait en aplomb sur lequel j’ai cru reconnaître une radio de mes dents et plus précisément de mon ultime dent de sagesse qui avait été réalisée lors de ma dernière visite.
Je suppose qu’il a suivi mon regard.
- Alors, on l’arrache ?
[merdeeeuh, c’est bien une radio de mes dents et il se souvient qu’il me reste une dent de sagesse qu’il n’a pas eue…]
- Euh oui… mais pas aujourd’hui ?
[c’était prévu ça ? Non, je suis sûr que j’ai seulement pris rendez-vous pour une visite de routine.]
- On peut.
[Oui, c’est sûr, quand on veut on peut, mais moi je ne veux pas.]
- Euh… oui mais c’était pas prévu (mélange d’inquiètude et de doute) ?
[je suis sûr qu’il bluffe. C’était pas prévu. De toutes façons il m’a déjà pris en retard, on n’a pas le temps là.]
- Non, mais ce sera vite fait et puis comme ça tu n’as pas le temps d’angoisser.
[il lit dans mes pensées ou quoi ??! C’est pas un problème d’angoisse de toutes façons, c’est un problème de douleur.]
- Oui, euh, c’est sûr mais…
[qu’est-ce que j’avais prévu ce week-end…? rien, en fait.]
Il a quitté son bureau pour venir prendre place sur son tabouret près du fauteuil.
- Bon, on y va ?
[voilà, on va d’abord faire un petit détartrage, comme ça je vais pouvoir réfléchir pour trouver une excuse.]
- D’accord. [putain !! depuis quand il faut une seringue pour faire un détartrage ??]… Ah, c’était sérieux ?
[la naïveté, c’est ma dernière chance.]
- Oui. On le fait pas ?
[je peux pas me dégonfler, je serai débarrassé, je peux pas me dégonfler, je serai débarrassé…]
- Si, si…
[je suis foutu.]
- Ca va être vite fait.
[pourvu que ce soit vite fait comme l’autre du bas et pas comme celle du haut où il a fallu me recoudre la gencive.]
- Je risque d’avoir mal pendant combien de temps… pas plus de vingt quatre heures ?
[mince, je ne me souviens plus de la dernière fois.]
- Ca, on ne peut pas le savoir à l’avance.
[dire que j’ai pris rendez-vous à neuf heures et demie pour m’obliger à me lever et pouvoir profiter de la journée après…]
- gggrrlllgrllll…
[arf, il m’a mis son truc pous aspirer dans la bouche.]
A part une petite frayeur à cause de sa première aiguille qu’il a dû changer parce qu’elle était bouchée et d’une petite crispation habituelle (Il faut se détendre. [C’est facile à dire…]) au moment de l’extraction proprement dite qui a duré, montre en main, moins d’une minute, ça s’est très bien passé. Je rigolais alors que j’avais encore la compresse dans la bouche.
J’espère que c’était la dernière avant longtemps parce qu’avec ses manies d’arracheur de dents il ne m’en reste plus que 26 maintenant.
Au pied de l’article du Monde que je citais il y a peu j’avais remarqué la référence à l’ouvrage de son auteur, Laurent Léguevaque, intitulé Plaidoyer pour le mensonge.
J’ai lu avec plaisir cet opuscule dont j’ai particulièrement apprécié la liberté de ton et les anecdotes tirées de l’expérience de juge d’instruction de l’auteur, mais pas seulement ainsi que le montre l’extrait suivant :
Toulouse, 1944. La résistance locale, à l’instar de celle d’autres grandes villes de province, s’est à présent structurée, grâce à ceux de Londres. En particulier, cette armée de l’ombre utilise maintenant des pseudos, ces noms d’emprunt servant à diriger anonymement des réseaux oeuvrant en toute discrétion. Rester invisible est impératif, car la gestapo veille, et la milice renseigne. Gare aux traîtres. Le résistant dont je souhaite conter l’histoire a d’ailleurs certainement été balancé par un autre car l’officier allemand qui l’interroge, dans les locaux de la kommandantur, lui pose avec insistance une pertinente question : “Qui est Renard ?”
Or, Renard est effectivement le pseudo d’un chef de réseau. Chargé d’exécuter certaines tâches. Au départ, celle d’instaurer un double circuit d’impression de tickets de rationnement, puis d’autres, plus cruciales, avec le temps. Comme passer des gens en Espagne, via les Pyrénées.
“Qui est Renard ? Réponds !”
Le résistant s’enfonce dans le mutisme. Parce que lui sait qui est Renard. Il le connaît mieux que personne. Hors de question de livrer Renard. L’allemand s’énerve, dégaine son pistolet, appuie le canon sur le genou du résistant assis, poignets ligotés derrière le dossier de sa chaise. L’embout froid du canon du Mauser tutoie sa rotule. Par réflexe, son quadriceps crispe. Tout le reste de son corps ficelé tremble.
“Qui est Renard ?
- Je ne sais pas”, ment-il.
L’officier devient plus menaçant encore :
“Qui est Renard ? Attention, je vais tirer !
- Je n’en sais rien !
- Non, ne mens pas ! Je sais que tu sais !”
Puis de nouveau : “Dis-moi qui est Renard !”
S’il fait feu, ça fera mal. A cette distance, à bout touchant, et vu le calibre - du 9 millimètres - le genou risque d’exploser. Mais hors de question de balancer Renard. Impossible, inacceptable, inenvisageable. Le résistant se tient coi, lèvres scellées. Il sent la sueur emperler son front, puis dégouliner. Il a le tort de relever les cils vers son tortionnaire, afin de l’apitoyer, lui rappeler de l’iris et de la prunelle que l’on ne peut pas faire ça à un autre être humain. “Comme toi, j’ai des yeux, des genoux…” Hélas, l’officier prend sans doute ce regard pour une effronterie, une provocation, puisqu’il tire.
Ce qui met fin à l’interrogatoire.
Le vieil homme qui m’a narré, bien plus tard, cet épisode a survécu. Sans sa rotule : je l’ai toujours connu boiteux. Affublé d’une prothèse. Des années après, il conclut ainsi son récit : “Renard, c’était moi. Mon nom de réseau… Mais ça, le schleu l’ignorait. Pas si bien renseignés que ça, les fridolins.”
Puis, les yeux chafouins : “Mais, sais-tu l’important, gamin ? Le sel de cette mésaventure…
- Non.”
Comment saurais-je ? Il faut l’avoir vécu pour concevoir, réaliser, ressentir…
“Eh ben, j’ai passé le reste de ma vie à me poser cette question…”
Qu’il formulait à voix basse, comme pour lui-même : “Aurais-je parlé avant le coup de feu… si Renard avait été un autre que moi ?”
Fichue bonne question. Terriblement édifiante. Quand il s’agit d’identité, disais-je…
Le mensonge est un réconfort, un asile, un rempart contre l’oppression. La foi aveugle des thuriféraires de la transparence de la vérité absolue ne saurait inspirer qu’une méfiance bien pesée.
Par ailleurs, dans la même collection indigne des Editions Denoël que j’ai découverte grâce à ce livre, j’ai également lu Le premier sexe d’Eric Zemmour.
L’auteur s’inquiète de la féminisation de notre société dont pâtirait le mâle.
Un certain nombre de fines observations côtoient des poncifs mais l’ensemble m’a intéressé.
Les questions soulevées qui pointent certains paradoxes sont pertinentes quoique je ne sois pas toujours d’accord avec les réponses proposées qui nécessiteraient en tout état de cause un volume plus important.
Je suppose que les qualificatifs machiste, réactionnaire, mysogine voire homophobe ont déjà dû être attribués mais ils ne me paraissent pas mérités si ce n’est comme la rançon du ton d’une collection intitulée indigne.