Bribes
Samedi 19 mai 2007- Pour moi tous les gens sont des cons.
- Ah bah c’est pas compliqué comme ça…
- Non, mais attends, moi aussi hein !
- Pour moi tous les gens sont des cons.
- Ah bah c’est pas compliqué comme ça…
- Non, mais attends, moi aussi hein !
…entendues sur un trottoir devant un bistrot :
- Je suis rouge ? demande le premier.
- Nooonnn. répond le second au visage écarlate.
J’ai croisé Léodagan en sortant du bureau. Il ne portait pas sa tenue de chevalier. Il ne se rendait donc vraisemblablement pas à une réunion de la table ronde.
Chaque dimanche, une chanson ou un morceau de musique qui appartient à une ou plusieurs de ces trois catégories :
qui me fait frissonner : discrètement mais immanquablement, parfois depuis plusieurs années.
qui m’(a) obsède(é) : ça ne dure toujours qu’une période, relativement courte, de quelques heures à quelques semaines, qui, parfois, peut se renouveller.
qui me rappelle… : quelques minutes de musique associées à quelques minutes ou plus de vie passée.
The false husband, Isobel Campbell & Mark Lanegan
extrait de Ballad of the broken seas / 2006
Comment le simple enchevêtrement de brindilles du nid des pies peut-il résister à la violence des balancements que la bourrasque imprime aux plus hautes branches entre lesquelles il est perché ?
Ce ne sont pas les événements qui affectent les hommes, mais l’idée qu’ils s’en font.
Epictète
Après un Président au houblon, un Président pur malte.
La soirée avance.
Il n’y a plus de cacahuètes, seulement des olives… non dénoyautées.
Pourquoi un homme comme monsieur B., privilégié socialement, apprécié de ses collègues, aimant sa femme et ses enfants, en arrive-t-il à se considérer comme un fardeau et à envisager de se suicider ?
Les réponses ne sont pas simples. Depuis le début de ce siècle, les psychiatres, les psychologues et les biologistes n’ont cessé de proposer de nouvelles théories pour expliquer la dépression. Chaque psychiatre s’attache plus particulièrement à certaines d’entre elles, suivant qu’elles sont en accord avec l’enseignement qu’il a reçu et les maîtres qui l’ont marqué, avec sa conception personnelle du monde ou sa rencontre avec certains patients qui lui ont semblé la démonstration vivante de telle ou telle théorie. Il existe donc de multiples manières d’”expliquer” les mécanismes d’une dépression. Imaginons justement que l’on soumette le cas de monsieur B. à une commission composée d’une dizaine de psychiatres et de psychologues, de formations différentes, en demandant à chacun d’entre eux de donner un avis sur les causes de sa maladie. Ils vont prendre la parole tour à tour.
Ecoutons d’abord les psychanalystes. Comme ils utilisent souvent un langage un peu abscons, je vais tenter de reformuler leur propos de manière accessible au risque évidemment d’appauvrir les théories psychanalytiques de la dépression. Le psychanalyste explique que monsieur B. est devenu mélancolique parce qu’il s’est trouvé en situation de perte de quelque chose. Cette perte l’a fait régresser à une phase infantile de son développement psychologique. Pour monsieur B., ce “quelque chose” perdu (que les psychanalystes appelent “objet”, alors qu’il s’agit plutôt d’une personne ou d’une image) est peut-être sa propre image de travailleur efficace en toute circonstance, image à laquelle il tenait particulièrement. A partir du moment où il a l’impression de moins bien travailler, la perte de son image lui rappelle des émotions qu’il éprouvait lorsqu’il était bébé (régression). Lorsqu’un bébé se trouve séparé de quelqu’un ou de quelque chose auquel il est attaché, certains psychanalystes pensent qu’il éprouve de l’hostilité à l’égard de cet “objet” perdu, qui le fait souffrir par son absence. Mais le bébé, qui distingue encore mal ce qui fait partie de lui-même et ce qui appartient au monde extérieur, a tendance à considérer que cet objet perdu fait partie de lui. Du coup, l’hostilité qu’il éprouve vis-à-vis de cet objet se retourne contre lui-même. Cette hostilité contre soi-même se traduit chez monsieur B. par des pensées dévalorisantes sur lui-même et des envies de se tuer. Beaucoup d’auteurs ont noté des similitudes entre la dépression et les émotions que l’on éprouve lorsque l’on perd quelqu’un ou quelque chose auquel on tient passionnément. Freud a remarqué les analogies entre la réaction de deuil que nous éprouvons après la perte d’un être cher et la dépression mélancolique. Le psychiatre anglais Bolwby a exploré les similitudes entre les réactions du petit lorsqu’il est séparé de sa mère et les symptômes dépressifs de l’adulte. Les théories psychanalytiques de dépression sont très nombreuses et toujours en évolution.
Dans cette commission imaginaire, face aux psychanalystes, nous trouvons les comportementalistes. Les psychanalystes se sont intéressés à l’enfance et à l’inconscient de monsieur B., les comportementalistes vont plutôt s’intéresser à son environnement actuel et aux tentatives que fait monsieur B. pour s’y adapter. Les comportementalistes attachent beaucoup d’importance à la notion de “renforcement” de nos comportements, c’est à dire aux conséquences de nos comportements. Un renforcement positif accentue le comportement qui l’a provoqué. Par exemple, si à chaque fois que vous refusez de donner un biscuit au chocolat à votre petit garçon, il crie et trépigne, et que vous finissez par céder et donner sa friandise au cher petit ange, il est probable qu’il se mettra à crier et trépigner de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps en cas de refus de votre part. En lui donnant le biscuit après qu’il a crié et trépigné, vous avez renforcé positivement ses comportements de colère, qui risquent de se répéter de plus en plus souvent. Un autre exemple : si, avant de commencer une réunion hebdomadaire, vous attendez les retardataires, il est probable que ces personnes arriveront de plus en plus souvent en retard. En les attendant, vous renforcez leur comportement “retard”. (Sauf si vous les critiquez vigoureusement lorsqu’ils arrivent.)
Si vous réfléchissez quelques secondes, vous vous aperceverez qu’une grande partie de nos comportements sont maintenus par des renforcements positifs. Par exemple, le comportement “travail” est maintenu par les renforcements positifs “salaires”, “statut social”, et plus rarement “plaisir de se réaliser”. Nos comportements sont aussi guidés par le besoin d’éviter les renforcements dits négatifs, qui sont désagréables. Même si notre travail ne nous apporte pas beaucoup de renforcements positifs, il nous permet d’éviter les renforcements dit négatifs “difficultés matérielles” ou “solitude”. Mais on pourra objecter que les renforcements n’ont pas tout pouvoir sur le comportement. Il faut aussi que l’individu soit capable de produire ce comportement. Même si l’on me propose une somme d’argent rondelette pour tenir le rôle du danseur étoile du Lac des Cygnes, il est peu probable que ce renforcement positif suffise à me faire trouver sur scène les mouvements appropriés. Il vaudrait mieux donner l’argent aux spectateurs. Cet exemple rappelle que nous ne sommes capables d’émettre un comportement que s’il figure déjà dans notre répertoire comportemental, c’est à dire parmi les comportements que nous avons en “stock”, produits de notre éducation et de notre hérédité.
Un comportementaliste expliquera que monsieur B. est devenu déprimé parce qu’il n’avait pas à sa disposition des comportements qui lui permettent d’obtenir des renforcements positifs dans son nouvel environnement. Pour monsieur B., le nouvel environnement était celui de chef d’équipe, et monsieur B. connaissait mal les comportements de management. Ses comportements maladroits n’étaient donc pas suivis de satisfactions-renforcements (qui auraient pu être l’approbation de ses collaborateurs, ou l’impression de réussir ce qu’il entreprenait). Ses efforts d’adaptation, peu renforcés, avait alors fait place à des comportements de passivité et d’évitement des situations, qui sont des réactions innées en cas d’échec des efforts d’adaptation. Pour un comportementaliste, monsieur B. est déprimé parce qu’il n’arrive plus à tirer assez de renforcements positifs de son environnement.
[…]
Après les psychanalystes et les comportementalistes, d’autres psychiatres ou psychologues prendront la parole :
“La dépression de monsieur B. doit être considérée comme le résultat de différentes interactions qui se produisent dans son équipe. En étant déprimé, monsieur B. permet à l’ensemble de l’équipe de rester en bonne santé en ne perturbant pas ses habitudes de fonctionnement.” C’est un tenant des théories systémiques qui vient de parler. Le systémicien considère l’individu comme un élément d’un système, de même qu’on ne peut bien comprendre le comportement d’un joueur de bridge qye si l’on observe l’ensemble de la partie et les comportements des autres joueurs.
“Monsieur B. a hérité d’un gène ou d’un groupe de gènes qui le rendent vulnérable à la dépression, comme l’était sa mère.” On reconnaît sans peine le discours d’un généticien, qui s’intéresse à l’influence de l’hérédité dans les troubles mentaux. Nous en reparlerons.
La dépression de monsieur B. est la “facture” d’une ascencion sociale trop rapide. Ce psychiatre ou ce psychologue a un intérêt particulier pour les approches psychosociales des maladies mentales, c’est-à-dire l’influence des conditions sociales et des relations avec l’entourage dans le déclenchement et le développement d’un trouble.
Intervient ensuite un psychiatre biologiste. Il s’exprime avec assurance :
“Monsieur B. est déprimé parce qu’il souffre d’une déficience d’un neurotransmetteur, c’est-à-dire d’une substance nécessaire à la transmission de l’influx nerveux entre certaines cellules cérébrales.”
Les contes d’un psychiatre ordinaire, François Lelord
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C’est un ordre !
Mais interdiction de la lire pendant les heures de boulot…
Chaque dimanche, une chanson ou un morceau de musique qui appartient à une ou plusieurs de ces trois catégories :
qui me fait frissonner : discrètement mais immanquablement, parfois depuis plusieurs années.
qui m’(a) obsède(é) : ça ne dure toujours qu’une période, relativement courte, de quelques heures à quelques semaines, qui, parfois, peut se renouveller.
qui me rappelle… : quelques minutes de musique associées à quelques minutes ou plus de vie passée.
Summertime, Janis Joplin with Big Brother & the Holding Company
extrait de Cheap Thrills / 1967
(reprise réarrangée de l’original composé par George Gershwin en 1935)
Frisson : nom masculin - 1. Contraction subite, involontaire et passagère de la peau ou des muscles, accompagnée d’une sensation de froid. 2. Saisissement provoqué par une émotion.Le frisson peut avoir des causes diverses notamment l’exemple précité.