Je marche des heures dans Paris. J’ai de plus en plus de mal à m’y perdre même en choisissant des quartiers que je connais très mal.
Pourtant la ville m’est étrangère. Elle m’agresse à certains détours. Je fuis plus que je n’erre.
Mes volées de pas dans Bruxelles me laissent le goût de pas volés. Une ville étrangère aussi mais parce que je ne la connais pas.
Il est plus pénible de ne plus connaître - ou de ne pas reconnaître - que de ne pas connaître.
Je supporte de moins en moins bien les bruits urbains auxquels je suis pourtant habitué. Je ressens ces bruits comme autant d’agressions. Si je conçois volontiers l’usage des sirènes je suis au contraire exaspéré par les bruits de klaxons. J’en viens à imaginer un système qui ferait subir une décharge électrique au conducteur. Seulement je suis persuadé qu’il y en aurait pour y prendre plaisir et écraser leur avertisseur avec d’autant plus d’ardeur.
Sous la voûte qui ouvre telle une bouche sur la sombre rue de Nevers je lève les yeux et découvre douloureusement, parce que j’ai un torticolis, et pour la première fois une histoire qu’introduisent ces vers :
Toi qui vas les guêtres traînant
Au long des quais de la rivière
Lis ces vieux vers écrits au temps
Où ce beau coin de ton Paris
N’était plus qu’une fondrière
Indigne du bon roi Henry.
Dans les rayons d’une papeterie qui propose des feuilles de toutes les couleurs je surprends plusieurs autres personnes murmurer en rythme avec moi les paroles de la chanson - de circonstances - de Noir Désir que diffusent les hauts parleurs :
Des désenchanteurs - I’m lost
Un train à quelle heure - I’m lost
Des pirates des corsaires - I’m lost
Sans aucun repaire - I’m lost
Tu dois voir plus loin - I’m lost
Tu dois revenir - I’m lost
Tu dois tout essayer - I’m lost
Tu dois devenir - I’m lost
Dans le Jardin des plantes au sommet d’une butte il y a un petit kiosque qu’un long chemin circulaire dessert. Je lève les yeux, encore, et lis la maxime épicurienne : Horas non numero nisi serenas. Je ne compte aucune heure de mon temps qui me semble filer à toute vitesse.
Je passe sous un immense cèdre rapporté par Jussieu en 1734. Combien d’heures sereines a-t-il abrité ? Il y a 200 ans qui regardait ses frondaisons, encore à portée de mains ?
Une chouette m’observe derrière son grillage. Peut-elle communiquer avec les pigeons qui se trouvent de l’autre côté ?
Jacques Chirac demande : Qu’est ce qu’il lui arrive à la 2, il faut faire chauffer l’appareil ?