En même temps
Mardi 31 août 2004Il y a quelques années Etienne m’avait offert un livre dont le sujet était les synchronicités. Je ne saurais dire où est l’objet aujourd’hui. Je suppose qu’il se trouve parmie les nombreux livres que ma mère a la gentillesse de conserver. A moins qu’il ne m’ait été que prêté.
Je crois que l’on peut toujours trouver du sens dans les coïncidences ou les actes manqués. C’est le propre de l’humain que de chercher en voulant trouver du sens en tout. D’une certaine manière en donnant du sens on donne la vie aux événements et aux symboles.
C’est ainsi que j’ai perdu les cinquante euros que je n’avais pu dépenser à ma guise. Cet argent devait servir un acte précis et nul autre et c’est pour cela que je l’ai perdu, pour symboliser la perte. Un acte manqué pour un acte manqué. A moins que les poches de mon pantalon ne bâillent trop ? C’est ainsi qu’au cinéma deux couples s’assoient de part et d’autre de moi, d’abord à ma droite puis à ma gauche mais en laissant cette fois-ci une place libre à mes côtés. Ont-ils senti qu’elle était encore chaude ? Etait-ce une manière de respecter la perte ? Ou bien n’est-ce que le fait que nous sommes dans un cinéma où les fauteuils sont à deux places et qu’en s’asseyant immédiatement à ma gauche ils seront de part et d’autre d’un accoudoir qui ne se relève pas ?
On déchiffre ce que l’on veut bien. Comme la magie de la science ne sont que deux faces d’une même réalité que l’on croit ou comprend. Tant qu’on en est heureux. Les chiffres ne sont ni bons ni mauvais hors les sens de l’homme.
Aux heures où je parcoure les oeuvres de Michel Tournier, le voici qui se présente dans mon poste de télévision. Je l’ai lu se décrire par bribes et à présent je le vois. L’émission sous forme de portrait qui lui est consacrée me fait également découvrir ce presbytère qu’il habite depuis 40 ans et que je n’avais pas imaginé ainsi. Je voyais un bâtiment plus bas et plus sombre dans un écrin de verdure plus enveloppant. Ce n’est pas si loin de chez moi, j’aurais pu aussi bien aller voir sur place.
Michel Tournier a la même bouche que François Mitterand. Une lèvre supérieure abrupte comme une falaise surplombant une lèvre inférieure pas plus large que les rivages qui bordent le pied des falaises.
Je détourne les yeux de l’écran. Je ne suis plus distrait par l’image et n’étant plus attentif qu’à sa voix je leur trouve des intonations communes. Il commente une visite guidée pour des enfants. Son débit ralentit. Je ferme les yeux. Ils ont la même voix. Ce qui me perturbait est le débit naturellement plus rapide de Michel Tournier.
Mais est-ce si troublant qu’à des bouches semblables correspondent des voix semblables ?
Je pense à Emmanuelle Devos dans ce film où elle est fanatique de François Mitterrand et où deux hommes luttent pour obtenir ses faveurs alors qu’elle n’en a que pour l’image de l’homme à l’écharpe rouge. Je pense à Sur mes lèvres dans lequel elle joue également. Puis au DVD que Calliope a pris chez notre mère. Je pense que je n’ai pas su leur parler de la perte.
Je pense aussi qu’à la fin du film dont je ne me souviens pas du titre Chloé Mons, la femme d’Alain Bashung, joue une courte scène. Il était bien ce concert.
Je ne me rappelle pas de mon premier souvenir. Pour être plus précis, je ne me souviens pas de la première fois où je me suis rappelé. La première fois où j’ai évoqué pour moi même dans le secret de mon esprit une chose passée, une odeur, un son, une image, une scène, un souvenir.
Il y a un avant et un après, mais j’ignore quand se situe la charnière autour de laquelle s’articule la nostalgie. Quand me suis-je piqué à regarder en arrière ?
Un jour j’ai regardé derrière et j’ai aimé ce que j’ai vu. Qu’y avait-il devant moi ce jour-là ? Qu’ai-je trouvé de si agréable qui s’est fondu en moi jusqu’à ce que je l’oublie ? La maîtrise de ces épisodes immuables cristallisés à jamais…