Archive pour mai 2003

Sa place

Vendredi 30 mai 2003

On connaît dans la vie des périodes de rébellion, de remise en cause, de colère, de rejet. On aimerait parfois être un autre, être d’ailleurs, d’un autre lieu, d’un autre temps. Seulement voilà on en vit qu’une fois et l’homme, animal social, a composé une société, des sociétés si vous préférez, organisée(s). Chacun à sa place et je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que la réciproque soit vraie. Divers groupes qui parfois se superposent (pas seulement pour se reproduire, d’autant plus que lorsqu’il s’agit de se reproduire ils ne se superposent pas tellement) composent notre société. Le hasard nous fait appartenir à tel ou tel groupe et le jour où l’envie de quitter notre groupe nous taraude nous devons faire face à la réalité : on ne change pas de classe sociale car ce n’est pas de notre fait, notre volonté n’y suffit pas. L’appartenance à une classe sociale est le fait des autres, tant de nos pairs que de nos contemporains qui forment (tout autant malgré eux) les autres classes qui composent la société. Si l’on est considéré comme appartenant à telle classe, on n’aura beau se déguiser de toutes les manières rien n’y fera. Au pire on apprendra à ses dépends que la reconnaissance de ses pairs est plus facile à perdre que celle des autres l’est à gagner. Même le voile de l’argent si prégnant aujourd’hui ne suffit pas à cacher ses origines. Changer de classe sociale c’est comme s’expatrier. On aura beau tout faire il restera toujours quelque part en nous la trace de notre milieu d’origine. On ne peut pas s’en départir, ce serait oublier son éducation, son enfance, ce serait se renier et donc n’être plus rien. Les périodes de rebellion, je pense à l’adolescence en particulier, ne servent presque toujours qu’à mieux revenir parmi ses pairs. Revenir le coeur léger d’être sûr qu’on est ici à sa place ou bien le coeur amer de devoir courber l’échine parce qu’on a réalisé qu’on ne pouvait être nulle part ailleurs.

Vendredi 30 mai 2003

La raison rétrécit la vie, comme l’eau rétrécit les tricots de laine, si bien qu’on s’y sent coincé et on ne peut plus lever les bras.

René Barjavel, L’enchanteur

3 grues à l’horizon

Jeudi 29 mai 2003

Aujourd’hui tout doit être portable même si l’on ne sait pas bien où l’on va tout emporter. En effet, paradoxalement nous sommes une majorité à être attaché à notre petit nid/abri/tannière/antre/chambre/planque/triplex avec piscine sur le toit/château en Espagne/manoir hanté/maison au fond des bois (je vous laisse choisir ou allonger la liste) dont nous préférons ne pas trop nous éloigner tout simplement parce qu’on y est bien (j’ai beaucoup de mal à admettre que l’envie de partir loin ou d’aller voir ailleurs ne soit pas un signe de mal-être, mais je pense que c’est mon esprit qui est fait comme ça, je ne veux pas entamer votre susceptibilité, ne serait-ce que parce que ça ne se fait pas de présenter une susceptibilité entamée à des invités qui ne sauraient tarder maintenant). Il me semble que deux éléments principaux caractérisent le portable : la taille, aussi réduite que possible et le wireless.

Bien sûr il y a des objets qui sont portables par nature et ce n’est pas à ceux-ci que je pense. Je pense aux objets que l’on s’efforce de rendre portables (il est entendu qu’à peu près tout est déplaçable, il n’y a qu’à voir les châteaux démontés pierre par pierre pour être reconstruit ailleurs, mais bon vous voyez ce que je veux dire) alors qu’ils ne le sont pas initialement.

Je veux donc rendre hommage à l’un des premiers et donc des plus anciens objets que l’homme a rendu portable d’autant plus qu’il me semble hautement symbolique et que nous continuons à nous en servir aujourd’hui : l’escalier. Arrêtez d’écarquiller les yeux ! Qu’est-ce qu’une échelle sinon un escalier portable ?

On a trop tendance à oublier les objets les plus simples. Quel merveilleux objet que l’échelle ! Qui n’est jamais monté sur une échelle ? Comment cueillir les cerises sans échelle ? Comment sauver le chat sans échelle ? (ils sont quand même sympas les chats de nous faire plaisir parce que bon (on ne le dit pas assez ;o) ), eux ils savent très bien redescendre et beaucoup plus rapidement) D’ailleurs les pompiers, symbole des secours, possèdent une très grande échelle qu’ils emportent toujours avec eux.

L’échelle est également la quintessence et le symbole de l’élévation. Ne dit-on pas s’élever dans l’échelle sociale ? D’ailleurs quand on commence à faire des économies d’échelle rien ne va plus ! D’aucuns diront qu’une corde peut bien faire l’affaire pour remplacer une échelle et pour qu’eux fassent des affaires. On se pend avec une corde et c’est justement avec une échelle qu’on ira décrocher le malheureux. D’ailleurs il est intéressant de noter que justement le portable moderne est wireless. Les ennemis de l’échelle sont les ennemis de l’homme et de la femme : comment atteindre le balcon sans échelle ?

Enfin si passer sous une échelle porte malheur c’est uniquement parce que vous ne portez pas de casque !

Etymologie

Jeudi 29 mai 2003

Ce qu’on dé-teste ce sont des choses que l’on a testé et qui ne nous ont pas plu.

On n’est pas rendu !

Mardi 27 mai 2003

Près du bureau d’immenses affiches 4×3 nous annoncent que la RATP est partenaire des championnats du monde d’athlétisme. En sortant du bureau la secrétaire me dit : La RATP rien de les arrête. Je ne suis pas d’accord, c’est le contraire, la RATP il y a beaucoup trop de choses qui les arrêtent !

C’est aussi une étoile

Mardi 27 mai 2003

Tu imagines si on pouvait prendre un peu de soleil pour le mettre dans sa poche et se le donner plus tard de la main à la main ? Tu imagines retrouver au fond de ta poche un peu de soleil, entre un crayon, un caillou et une pièce de monnaie ? Ca resterait toujours chaud au fond de ta poche. Ce serait doux aussi, évanescent mais palpable, léger comme une aile de papillon. Tu imagines sentir ma main mais aussi en même temps entre nos paumes cette matière ondoyante ? On pourrait faire des caresses de soleil. Des caresses qui s’étaleraient et qui refroidiraient doucement jusqu’à s’évanouir dans ton frisson. Tu imagines du soleil dans tes cheveux ? Il s’y glisserait sans heurt et tes cheveux seraient autant de cordes de harpe dont le chant résonnerait dans tout ton corps.

Je crois que j’ai pris un coup de soleil.

3 grues à l’horizon

Jeudi 22 mai 2003

Il est toujours troublant de réaliser que nous ne nous comprenons pas. Nous discutons et soudain à l’angle d’une phrase, comme on se ferait surprendre au détour d’un chemin, comme le danger nous attend tapi au creux d’un virage, l’incompréhension surgit. Nous réalisons brusquement que nous ne nous comprenons pas. Soudain l’autre semble changé. La personne qui est en face de nous a disparu. L’enveloppe est là mais l’âme que nous croyions recevoir notre confiance et recueillir notre récit semble volatilisée. Le pont s’est effondré sans qu’on sache pourquoi et chacun est seul de son côté du vide. Il a suffi d’une phrase, d’un mot parfois pour nous faire nous dire : “il/elle ne comprend pas”. Il faut bien l’avouer, si l’incompréhension est le plus souvent réciproque, à cet instant où l’on se sent seul le sentiment qui prédomine est celui d’être soi incompris. Ce n’est que dans un deuxième temps que l’on relativise et que l’on cherche à comprendre l’autre. Face à la solitude née de l’incompréhension on peut tendre vers deux attitudes opposées. Soit l’on considère que c’est l’autre qui ne comprend pas et implicitement qu’il est un peu con et/ou insensible (on peut considérer que ça va de pair). Soit l’on juge qu’on a du mal à exprimer clairement ce que l’on ressent et l’on essaye à nouveau, autrement.

Attention

Mercredi 21 mai 2003

Je vous invite à lire deux choses qui m’ont beaucoup intéressé. Tout d’abord un article paru dans Le Monde du 20 mai, La tyrannie du plaisir. Ensuite je vous renvoies vers Asa pour l’exposé des raisons de la grève des enseignants rédigé (d’une main de maître) par Plume. Je crois que c’est vraiment important. N’hésitez pas à faire suivre. Tout le monde gagne à comprendre.

Mes moires

Mardi 20 mai 2003

On n’oublie de rien, de rien, on n’oublie rien du tout, on n’oublie rien de rien, on s’habitue, c’est tout. chantait Jacques Brel. Ainsi l’on n’oublierait rien. Je crois qu’il y a plusieurs façons d’oublier. Il y a les choses qu’on oublie tant on s’y est habitué, j’entends par là que nous en sommes tellement imprégnées, qu’elles sont tellement de nous que nous ne nous les rappelons pas tant elles sont devenues évidentes et naturelles. A l’opposé il y a des choses que l’on oublie par refoulement, parce qu’on les nie autant qu’on le peut tant elles sont inacceptables et insupportables. Il y a aussi les choses que l’on a pas vraiment oubliées, qui sont là à fleur de mémoire et que le détail propice suffit à faire resurgir.

Au fond on n’oublie rien, effectivement, car même les choses les plus enfouies sont là, par définition. On ne peut pas parler de ce qu’on n’a réellement oublié puisque ça n’existe pas, on ne peut pas se le rappeler. C’est extérieur à nous.

Je suis ma mémoire. On ne peut pas changer de mémoire (une petite pensée pour Rachel et les nexus 6). Peut-être que c’est là l’obstacle suprême à l’évolution. Dans quelle mesure puis-je changer (terme à lire avec précaution) en conservant ma mémoire ? Mes souvenirs me deviendront-ils étrangers ? C’était moi mais un autre moi. Je pense encore à la nouvelle de Françoise Giroud, Pour mémoire. Je me dis alors que plus on s’installe dans une situation désagréable, disons plutôt insatisfaisante et plus il sera difficile de s’en sortir. Plus le temps passe et plus on fabrique de la mémoire autour de cet état jusqu’à occulter qu’il puisse en être autrement. Parfois cela devient insupportable et l’on se dégage alors par instinct de survie, mais à quel prix… Plus le temps passe et plus il en coûtera d’essayer de se détacher de sa mémoire, de soi.

Rien ne nous liera jamais tant que la mémoire partagée. Sans jamais pouvoir nous identifier il nous faut être le plus proche possible. Vivre les mêmes moments, chacun à sa façon mais ensemble. Que les mêmes choses, les mêmes lieux, les mêmes moments, soient évocateurs pour chacun. On ne partage pas les souvenirs on partage ce qui les évoque. Qu’une même chose ne soit pas évocatrice que pour un mais pour deux, ou trois ou quatre ou plus. C’est peut-être ce qui lie parfois les otages à leurs ravisseurs (non mais quel mot quand même !!) et qu’on appelle le syndrome de Stockholm. Les éléments évocateurs sont partagés alors que je pense que les souvenirs ne doivent pas être les mêmes.

On ne peut jamais retourner aux lieux de nos souvenirs. Un souvenir c’est autant un endroit qu’un moment. Le retour sur place ne sert qu’à stimuler le souvenir, souvent par contraste avec l’image que l’on avait gardé de l’endroit.

L’archivage, dans lequel s’incarne la mémoire, que l’humanité pratique depuis l’apparation des représentations graphiques et qui connaît une progression exponentielle depuis un siècle constitue aujourd’hui une véritable frénésie. Les archives seront notre tombeau. Les archives nous montreront combien nous nous répétons de génération en génération, combien les mêmes instincts transcendent les âges et se perpétuent à travers toi, lui, vous, nous, moi. Puique nous ne pouvons être éternels donnons-nous en l’illusion. Les archives et la mémoire sont l’illusion de l’éternité. Potentiellement nous pouvons être omniscient et omnipotent, tout savoir et tout faire. Je pense à La bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges. Archiver jusqu’à nous convaincre qu’il n’y a plus rien à inventer, que nous avons tout découvert et tout compris. Archiver pour essayer d’oublier (!) Sisyphe ou à tout le moins pour l’étouffer. Archiver jusqu’au désespoir. L’avenir est aux magiciens, à ceux qui accepteront de croire et donc de ne pas comprendre, aux humbles.

Il est aussi possible que je divague complètement…

Rendez-vous à la librairie

Mardi 20 mai 2003

Le Petit traité de toutes vérités sur l’existence de Fred Vargas est sorti en Librio (n° 586). Si vous n’aimez pas vous n’aurez pas perdu beaucoup et si ça vous plaît comme à moi vous ne regretterez pas (j’envisage de le relire ce qui est très rare pour moi). Si vous étiez là je vous l’offrirais moi-même.