Archive pour novembre 2002

Ses amis l’appellent James Bond

Samedi 30 novembre 2002

Je suis allé voir les dernières aventures de James What a man Bond, intitulées Meurs un autre jour. Le titre me semblait assez ridicule mais je ne me suis pas laissé arrêter par ce détail. Si vous comptez aller le voir vous aussi je vous invite à ne pas lire ce qui suit (reprenez aux petites étoiles). Je ne résiste pas à l’envie d’en parler. Je le dis tout net c’est, à mon sens, un bon James Bond. Pierce Brosnan est très crédible en agent britannique flegmatique. Il dispose d’une multitude de gadgets. Les James Bond girls sont très belles. Les méchants sont méchants, il y a un traître, on retrouve M, Q et Miss Moneypenny. Le quota d’explosions diverses et destructions est largement atteint. Bref, on n’est pas perdu.

Toutefois je ne peux pas m’empêcher de sourire, avec cynisme penseront sans doute certains. Le film contient de nombreux clins d’oeil (devenus monnaie courante dans le cinéma, en particulier américain) aux anciens épisodes (Halle Berry émergeant en Bikini avec un poignard attaché à son énorme ceinture, la collection des anciens gadgets conservés par Q, l’éternelle Aston dont on se demande où on trouve encore de la place pour lui rajouter de nouvelles options) mais me rappelle aussi d’autres films.

A la Point Break : extrême limite James surfe : tout d’abord pour débarquer discrètement en Corée du nord puis sur les vagues glacées de l’Islande pour échapper à l’effondrement d’un iceberg découpé par un satellite-chalumeau géant télécommandé depuis la Terre.

A la Volte face le méchant change de visage.

A la Seul au monde James adopte un look de Robinson Crusoé (cheveux longs, barbe, vêtements déchirés), mais lui n’était pas seul. Au contraire : il est copieusement torturé pendant 14 (!!!) mois par des nord-coréens pas rigolos amoureux des scorpions. Ca casse un peu le personnage, en même temps après plus d’un an de régime de torture nord-coréen on ne peut que saluer les qualités physiques de James. Toutefois maintenant les ennemis de James sont plus costauds que lui (Pierce Brosnan n’est tout de même plus un jeune premier).

Oui, James est plus vulnérable. Physiquement il se relâche un peu (ce qui est plutôt bien en fait car il ressemble ainsi à un être humain normal et non pas aux modèles qu’on voit un peu partout). Il est fortement maltraité à plusieurs reprises. Outrage suprême, M lui retire son 00. Il ne découvre le traître que très tard et surtout ça se voit. Ses ennemis sont aujourd’hui aussi bien équipés que lui.

Il ne faut pas chercher de vraissemblance dans les épisodes de James Bond, en dehors, éventuellement, de la situation géopolitique. Toutefois les progrès en matière d’effets spéciaux conjugués à l’imagination des scénaristes produisent des résultats proches de la science fiction. L’Aston Martin (voiture ô combien classieuse) de James est invisible !

Enfin, en deux heures on fait le tour du monde, on voit tout plein de feux d’artifices, on se fait plaisir, et puis voilà !

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J’entends parfois des gens exprimer leurs regrets à propos d’amours ou d’amitiés perdues ou en phase de le devenir (on peut discuter le sens de cette phrase, il me semble difficile de devenir perdu, c’est à dire mort en l’espèce). Bien souvent on évoque l’autre en disant qu’il a changé. Alors forcément ce n’est plus pareil, on ne partage plus les mêmes envies, les mêmes besoins, les mêmes goûts, on s’éloigne plus ou moins doucement. Bien sûr c’est la vie, on ne s’en veut pas. Seulement j’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de personnes pour évoquer le fait qu’elles-mêmes ont changé. Je concède volontiers qu’il est beaucoup plus difficile de le constater lorsqu’il s’agit de soi-même mais je ne crois pas que le changement d’un seul côté soit le cas le plus fréquent, bien au contraire.

L’après-midi s’est écoulée doucement. Je n’ai rien fait. J’ai lu une nouvelle de Fred Vargas. J’ai écrit quelques lignes ici. Je réfléchis à peine. Le jour décroît, il fait presque nuit. Je n’ai allumé aucune lampe et je ne peux plus lire. La lumière bleue de la chaîne hi-fi, quelques diodes de veille et bien sûr l’Ecran font des tâches dans l’ombre. Si ce n’était pas un album de Bruce Springsteen dans le lecteur je crois que ce moment serait vraiment déprimant. Il est bien ce disque. J’aime bien Cover me et Dancing in the dark. Je n’écoute pas vraiment les paroles. C’est peut-être triste en réalité. C’est Calliope qui m’a demandé de lui copier et je m’en suis fait une pour moi aussi (bah oui, jusque là je n’étais pas spécialement fan du Boss). J’aimerais ne pas rallumer la lumière jusqu’à ce qu’il fasse jour demain. J’aimerais ne pas être seul. J’aimerais avoir un objectif, être capable de me concentrer et d’y croire assez longtemps pour l’atteindre. Je l’ai déjà fait, c’est le plus rageant.

Un grand merci à Tehu. En effet, sur ses conseils avisés j’ai télécharché Bloggar et j’en suis très content ! J’ai également changé l’interligne sur ses conseils. Préférez-vous vous aussi ?

J’ai une fâcheuse tendance à écrire des entrées très décousues. Je m’en rends compte mais c’est en partie à ça que sert cette page, je peux raconter mes histoires telles qu’elles me viennent sans soucis de structure, d’ordre, d’organisation. L’ordre des choses est suffisamment pesant comme ça (parce que je manque de souplesse j’imagine). Disons que c’est ici mon ordre intérieur.

Un nostalgique c’est quelqu’un qui pense à demain mais après-demain

Vendredi 29 novembre 2002

Attrapé au vol dans Le Monde : Les spécialistes américains de la mécanique électorale ont inventé un théorème : “Il faut savoir ce que l’on veut : gagner ou avoir raison.” Je suis affligé. On peut déduire de ce brillant théorème :

- qu’il faut être malhonnête pour gagner (je doute sérieusement de la bonne foi des candidats, et totalement de sa constance)
- que les spécialistes prennent les électeurs pour des abrutis, comme les candidats
- qu’à bien y regarder ce théroème ne s’applique malheureusement pas qu’au mécanisme électoral.

Dès lors que l’on cherche un sens à la vie, qu’on s’interroge sur le pourquoi, plus rien n’a d’importance, car a priori rien ne vaut la réponse à cette question. Tout semble futile, sans intérêt et sans portée, on se perd dans des limbes où l’on ne croise plus que des chimères tandis que le temps file. On échappe à la vie, la vie nous échappe. C’est peut-être simplement le signe qu’on a peur de vivre. Mais pourquoi ? Ca m’a tout l’air d’un cercle vicieux. C’est aussi, sans doute, un signe d’ennui. On ne se pose pas de questions métaphysiques lorsque l’on est concentré sur un problème précis ou bien lorsque l’on est enlacé dans les bras de quelqu’un, que c’est chaud et doux et qu’on est tout à son plaisir de se sentir aimé. Soit dit en passant je t’aime est sans doute l’expression la plus synthétique qui soit quand on pense à tout ce que cela peut représenter.

Je me demande si je sais toujours m’avouer ce que je veux vraiment. Je suis le premier à dire qu’on trouve ce qu’on cherche (dans des conditions normales, s’entend, je ne parle pas d’accidents). Si l’on croit vouloir une chose et qu’on ne parvient pas à l’obtenir c’est sans doute qu’on veut autre chose en réalité, mais quoi ? (bah oui, il faut être cohérent) Pourquoi se faire des illusions ? Pour qui ? Pour l’image qu’on renvoit aux autres, pour leur faire plaisir, pous les impressionner, pour être accepté ? J’ai accordé beaucoup beaucoup de crédit aux autres et à leur avis pendant longtemps (tout en m’en défendant). Aujourd’hui encore quoique ça s’arrange tous les jours. En fait j’ai un peu de mal à faire la part des choses entre le respect que je dois aux autres et l’importance à donner à leur opinion à mon sujet. Pourtant je suis conscient du fait qu’on ne peut pas plaire à tout le monde et réciproquement. Il y a tellement de personnes différentes qu’on se trouve toujours des affinités avec certaines. Peut-être ai-je du mal avec l’idée qu’il faut nécessairement être indifférent à la majorité des gens pour vivre sa vie. C’est déjà le cas, il faut être réaliste mais ce n’est sans doute pas suffisant.

L’expérience prouve qu’une hausse du volume de la musique contribue à combler le vide d’une pièce.

Je ne suis pas coutumier du fait mais je vous renvoie vers deux entrées qui m’ont touché. La première est l’oeuvre d’Eva, la seconde de Roxane a.k.a. OrangeKaki. La première parce que je ferais pareil avec probablement les mêmes doutes et inquiètudes, la seconde parce que voilà une bien belle liste (et je m’y connais : j’en écris sans arrêt des listes), à tel point qu’il est difficile de faire un choix, quoique je crois que le 24 remporte la majorité des suffrages.

Par l’intermédiaire des statistiques (merci e-stat) je m’aperçois au fil des jours qu’un certain nombre de personnes m’ont linké, sans que ce soit forcément réciproque. Je les en remercie, je suis touché. J’imagine que si elles l’ont fait c’est qu’elles ont apprécié mes histoires ; ce qui n’est pas du tout évident pour moi a priori.

Je mens beaucoup, je joue beaucoup. Je joue la montre. Je joue au scrabble, au tarot, au Uno, au jungle speed (vous connaissez ?). Je joue des coudes, pas assez. Je joue sur les mots. Je joue l’assurance, avec un peu de talent depuis le temps. Je joue la dureté, de plus en plus car j’ai l’impression que j’ai été plus dur par le passé, et les choses étaient alors plus faciles, mais ce n’est peut-être qu’une illusion. Je joue l’indifférence, parfois. Je joue le détachement et la désinvolture.

Pourquoi me faîtes-vous tous peur ?

10 grues à l’horizon

Jeudi 28 novembre 2002

Je suis un peu bousculé dans mon emploi du temps mais j’ai deux ou trois choses à raconter. J’espère pouvoir le faire avant l’heure du crime. Dans le doute je compte les grues tout de suite.

Je veux…

Mercredi 27 novembre 2002

Les japonais ont des trésors nationaux. Ce ne sont pas des biens ce sont des personnes. Au Japon les trésors, nationaux qui plus est, sont des personnes. Elles sont ainsi honorées pour le savoir, la technique et l’expérience qu’elles possèdent dans un domaine particulier, en général traditionnel. On pourrait peut-être établir un parallèle avec les compagnons du tour de France mais la reconnaissance est beaucoup plus forte au Japon et les élus moins nombreux. Ainsi au Japon ce n’est pas la pierre précieuse mais celui qui sait la tailler qui est un trésor. L’idée me plaît. [Note : Voilà ce que j’avais écrit à la suite : Vous pardonnerez la faiblesse de mes connaissances en la matière et je vous renvoie à vos propres recherches pour de plus amples renseignements. Inconsciemment je crois que je me devrais de savoir ça, que je vous le devrais, que je le devrais à la personne à qui je raconterais ça. Je me sens votre obligé en quelque sorte. Je ne me fais la remarque qu’en relisant. J’ai toujours le sentiment que je n’en sais pas assez, que je devrais en savoir plus, que je devrais pouvoir expliquer, répondre. Insuffisant, c’est insuffisant, voilà ce que je pense. Si je prends un peu de champ (j’aime bien cette expression) je me dis qu’après tout non, je ne sais que ça et puis voilà. Pour le reste il faut chercher, je n’ai pas de raison de culpabiliser et puis c’est très prétentieux finalement de se croire ainsi devoir savoir tout… mais j’ai toujours l’impression que ça ne va pas, que ce n’était pas ça qu’il fallait faire ou dire, ce que je m’efforce de dissimuler et je crois avoir acquis un certain talent. C’est pourtant pas compliqué de croire les gens qui disent que c’est bien…]

J’ai fait lire et corriger mon CV successivement par Octave et Eleonore, Barbara, Thimothé et Mathilde. C’est une démarche d’alchimiste mais le résultat devrait être efficace. Les premières conclusions sont qu’il faut mentir et que je n’ai pas fini de chercher. Reste donc à écrire quelques lettres types (je déteste… je me répète ?) et à les envoyer à quelques centaines d’exemplaires… Les mêmes que toutes les autres parce que tout le monde écrit les mêmes lettres, pour les mêmes personnes qui veulent lire les mêmes choses. J’ai des envies d’honnêteté, de franchise, de sincérité, peut-être parce que je mens beaucoup, je joue beaucoup.

Aujourd’hui la brume a tout recouvert du matin jusqu’au soir. Je me demande toujours si derrière c’est bien comme d’habitude. Je sais que c’est comme d’habitude mais il y a une différence entre le savoir et le voir. Si les grues en profitaient pour migrer ? Ce serait dangereux dans le brouillard ! Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Il y a sans doute des millions de personnes qui se moquent de le savoir. Pourquoi pas moi ? Pourquoi je veux savoir ? Je veux savoir. C’est ridicule car savoir a un sens lorsqu’on peut influer sur les choses mais la plupart du temps ce n’est pas le cas. Savoir est une fin en soi. Je connais des gens qui veulent savoir certaines choses mais dans un but précis, il y a une motivation derrière cette volonté. Les informations en question ne les intéressent pas en elles-mêmes mais pour l’usage qu’ils vont en faire. Bien sûr il m’arrive de procéder ainsi mais je cherche souvent à apprendre des choses sans autre but que de savoir. Je lis beaucoup pour ça aussi. Il y a toujours à apprendre dans les livres… et j’aime les histoires. Alors je lis, j’écoute, je regarde… J’ai l’impression qu’avec l’âge on apprend moins en sentant et en touchant. On ressent toujours par ces sens mais on n’apprend plus. L’odorat est assez faible chez l’être humain et nous ne communiquons que peu par odeurs. Quant au toucher je crois que plus on vieillit moins on apprend. Bébé, on a tout à apprendre, y compris par le toucher. On est passé d’un univers clos et symbiotique dans lequel on n’a de contact quasiment qu’avec le corps de maman, et un tout petit peu à travers elle avec l’extérieur mais pas par le toucher, à un univers dans lequel on n’est plus protégé par une enveloppe, on est à vif. L’environnement extérieur est instable contrairement à celui dont on vient. On a beaucoup à apprendre. Par la suite, en grandissant, si l’on vit toujours à peu près au même endroit on n’apprend plus grand chose par le toucher. Bien sûr il y a des activités qui font plus appel à ce sens que d’autres, je pense aux personnes qui travaillent la matière, de quelque manière que ce soit. Je me dis que l’apprentissage par le toucher cesse, du moins diminue sensiblement, parce que ce serait trop éprouvant. La stimulation du toucher atteint nécessairement à l’intégrité physique et en vieillissant on a appris qu’on ne pouvait pas entrer en contact avec n’importe quoi. On peut regarder des choses dont on ne supporterait pas le contact. Le toucher est le sens de l’intimité par excellence (même si je pense que d’une certaine manière le regard peut abriter une intimité intense : quoi de plus intime qu’un regard échangé. On ne peut se regarder dans les yeux qu’à deux).

J’ai envie de choses nouvelles

Lundi 25 novembre 2002

Il y a quelques jours j’écrivais : <i>J’ai du mal à comprendre les gens qui consacrent la quasi totalité de leur temps à une chose en particulier, un domaine, une activité</i>. J’aimerais bien pouvoir me concentrer ainsi sur quelque chose de précis. J’aimerais tendre ainsi vers un objectif en particulier plutôt que de me disperser sans cesse. J’imagine, peut-être naïvement, que je gagnerais à ne pas avoir le temps de me demander :

Est-on nécessairement coupable dès lors que l’on n’est plus innocent ?
Pourquoi ne voit-on pas les fées ?
La mer arrivera-t-elle jusqu’ici ?
A quoi sert de savoir toute l’horreur du monde ?
Qu’est-ce qui fait barrage au désert à part la mer ?
Le bouddhisme peut-il sauver le monde ?
Charlie Brown peut-il gagner ne serait-ce qu’un seul match ?
Les flammes joueraient-elles mieux sur un violon que sur une bûche ?
Est-ce qu’on ne peut pas faire quelque chose des églises ?
Si ça n’arrive pas tout seul comment est-ce que ça arrive ?

Jérôme, pour qui je fais un petit travail de <i>conseil</i>, me propose de m’associer avec lui. Je suis très honoré, d’autant plus qu’on ne se connaît pas depuis très longtemps (parfois je me dis que je dois avoir une bonne tête). Seulement ce n’est pas vraiment ça que j’envisageais…

Je déteste les lettres de motivation. J’ai toujours cette pratique ridicule. On ment nécessairement. Si encore il était acceptable socialement de jouer franc jeu ça pourrait être drôle mais ce n’est pas le cas. Alors tout le monde regarde les mêmes modèles, écrit les mêmes choses, etc Pour trouver du travail il faut mentir. J’ai passé l’après-midi avec Barbara. J’aime beaucoup Barbara mais il faut que je me rappelle qu’elle me déprime quand on parle sérieusement, par exemple quand elle corrige mon CV. C’est très gentil de sa part, c’est moi qui lui ai demandé et je sais qu’elle a raison mais :o/ Est-ce mieux de vivre d’illusions ? Pourquoi ne peut-on pas faire une lettre franche ?

Madame, Monsieur,

voici venu le temps de nous connaître mieux. Je suis resté à la faculté aussi longtemps que possible mais je dois aujourd’hui la quitter tant pour vous que pour ceux qui me suivent. Il revient à ma mémoire des souvenirs familiers… non, ce n’est pas à Charles Trenet mais à Jacques Brel que je pense : au suivant.

On m’avait dit de faire des études. Je l’ai cru. Tous les ans on m’a dit qu’il valait mieux ne pas s’arrêter et continuer encore. Bonne pâte j’ai continué. A la fac il faisait chaud et on pouvait s’asseoir pour boire un café et discuter. Au début on m’a raconté : <i>vous savez ce qu’on dit : le droit ça n’amène à rien mais ça mène à tout (sourire entendu)</i>. C’était plutôt rigolo. Chaque année j’ai levé les yeux vers l’année supérieure en pensant qu’avec ce que j’avais déjà fait ce serait dommage de s’arrêter. Je me suis pris au jeu. Finalement je termine sur un échec mais je voulais essayer. Je m’y réessaierai peut-être un jour mais je crois que je gagne à prendre un peu de recul avant. Bien sûr j’ai acquis un certain nombre de connaissances, même s’il semblerait que ça ne suffise jamais et qu’il faille toujours en faire plus.

J’ai la volonté d’être utile et la prétention de croire que je peux vous être utile. Vous l’avez compris : je veux travailler. Autant l’écrire dès à présent cette volonté recouvre une motivation financière mais je préfèrerais que cette dernière ne constitue pas notre seul lien. J’ai encore quelques illusions. Je les cite pour qu’elles ne disparaissent pas, comme on parle à un ami imaginaire.  Cependant j’ai conscience de la nécessité impérieuse que je vous rapporte plus d’argent que je ne vous en coûte et je ferai mon possible pour réaliser cette condition. Je ne doute pas de votre profonde honnêteté et je suis sûr que vous saurez me rétribuer équitablement

Je ne possède sans doute pas le cursus le plus brillant qui vous soit proposé mais il m’a semblé comprendre que la personnalité des candidats au travail pouvait être prise en compte. Je ne prétends pas plus avoir une personnalité exceptionnelle, si tant qu’il y en ait. Je suis seulement moi et si nous devions travailler ensemble il pourrait être bénéfique, à mon sens, que nous ayions quelques affinités. Je n’ai que peu d’expérience, néanmoins j’ai déjà réalisé combien l’enseignement de la faculté était éloigné de vos besoins. Je suis de bonne volonté et il semblerait que je sois passablement intelligent.

Je vous prie de me répondre et au moins de me rencontrer.

Impatiemment / désespéremment / anecdotiquement / sérieusement / dynamiquement (j’hésite sur la formule de politesse)

Au fond je suis trop sensible et trop buté. Je résiste inutilement, je ne veux pas jouer le jeu. Je ne suis pourtant pas le dernier à dire qu’il faut faire avec si on ne peut pas changer le système. Au fond le problème est que je ne sais pas ce que je veux faire, à moins que je ne veuille pas me l’avouer. Barbara me dit : <i>Ca part un peu dans tous les sens</i>. Oui, ça part un peu dans tous les sens. Ca n’existe pas les emplois où il est nécessaire d’être polyvalent ? Il faut penser à sa carrière… Les expériences doivent constituer un ensemble cohérent… Je ne suis pas totalement borné. Je comprends tous à fait que l’employeur en face n’est pas beaucoup plus rassuré. Il doit se faire une idée rassurante, il doit faire un bon investissement (financier et <i>humain</i>, je ne voudrais pas que ce dernier terme soit mal interprété, il faut le placer dans son contexte, la plupart du temps on est embauché pour travailler au sein d’une équipe dont la qualité du travail dépend en partie des relations entre ses membres). C’est la loi du plus fort. Il n’y aura pas de place pour tout le monde, car le monde est injuste, et il faut se frayer un passage dans la foule. Il faut envoyer des dizaines, des centaines de lettres, <i>c’est comme ça</i>, il y a un problème ! Le problème il vient aussi de ce que j’ai voulu croire qu’on pouvait tout faire, que tout était possible et qu’en réalité c’est faux, et que la réalité rattrape et contamine ma foi. Albert Camus écrivait pourtant : <i>En réalité peu importe le chemin, la volonte suffit à tout</i>. Le serpent se mord la queue. Ou bien alors disons que c’est du théâtre ! Il faut jouer son rôle avec conviction et espérer qu’on saura trouver suffisamment d’intimité quelque part pour se retrouver.

Les lettres d’amour sont beaucoup plus agréables à écrire. Peu importe qu’on soit doué ou pas. Il s’agit d’être franc. J’en viens à me dire que je pourrais en écrire à une destinataire imaginaire.

mon amour,

la nuit est tombée et je me plais à imaginer que tu es peut-être ici quelque part dans l’ombre. La simple idée de ta présence même invisible me console. L’épaule de mon pull bleu conserve encore la trace de ton parfum. Je retrouve un cheveu de temps en temps. J’écris de “temps en temps” alors que quatre jours c’est si court… mais sans toi c’est si long. Je retrouve le temps de l’enfance, les heures interminables, les jours sans fin à attendre les vacances, le père Noël ou cet ami. Comme alors je m’endormirai tantôt en pensant à toi et peut-être seras-tu dans mon rêve. Mes pensées oréales te sont dédiées, la première et la dernière.

Je t’écris ce que je ne saurai te dire. Même à toi il est des choses que j’ai peine à dire. Des choses… c’est un mot bien dérisoire pour parler de toi. Oui, de toi, de toi dans ma vie. Mon orgueil cède à ton coeur. Je ne veux pas rester seul mais aussi je ne veux pas rester sans toi. Je dois te rassurer mais je ne sais le faire que parce qu’avec toi je n’ai pas peur. Je suis bien avec toi. Je veux m’endormir et me réveiller avec toi. Je veux te raconter mes histoires, je veux écouter les tiennes, je veux te regarder, te sentir, te toucher, je veux te consoler, je veux venir te chercher, je veux faire les choses avec toi, toutes les choses, les plus simples et les plus compliquées, les plus tendres et les plus passionnées, les plus sages et les plus folles, les plus courtes et les plus longues, les plus rouges et les plus bleues, les plus banales et les plus rares, les plus importantes et les plus dérisoires, les plus lointaines et les plus proches, les plus à refaire et les plus jamais, les pour et les contre, les plus grandes et les plus petites, et puis les autres, ou alors une seule chose mais avec toi, toujours. Je veux savoir ce que tu veux, ce que tu crois, ce que tu crains. Je veux savoir m’arrêter au seuil de ton jardin secret.

Ce sont des mots simples mais ce sont les miens pour toi. Ce sont les fruits du bonheur que tu sèmes dans ma vie.

Serge Gainsbourg chantait : “mieux vaut ton absence que ton indifférence”. S’il avait raison je ne crois pas que je survivrais à ton indifférence.

J’ai hâte d’être avec toi. Tu me manques. Prends soin de toi.

Je t’embrasse comme je t’aime, infiniment.

Qu’est-ce que la franchise quand on écrit à quelqu’un qui n’existe pas ? Ce ne sont pas de vrais mots d’amour, ce sont des mots tout court. Ils ne portent rien, ils n’apportent rien car ils ne sont pour personne. Ils sont comme les fleurs ou les fruits en plastique, il faut les voir de très loin pour les confondre avec des authentiques (je me permets de créer le nom pour l’occasion), des vivants. Ils n’ont pas de sens, ne contiennent pas de secret partagé à deux, pas d’histoire, pas d’avant ni d’après, ils ne rappeleront pas de souvenir. Ils ne sont même pas de la mauvaise poésie. On ne s’inspire pas du vide mais des autres, de leur absence, mais pas du vide, leur absence est indossociable de leur présence, l’absence s’enserre entre deux périodes de présence, ou signe la fin de la présence, mais par là-même son existence, même achevée. L’achèvement, l’accomplissement, la fin, la perfection. On retrouve toujours ses mêmes spectres. Je n’aime pas la fin pourtant j’ai tendu, je tends vers la perfection… en pensant que c’est un erreur. Je suis parcouru de contradictions et je me demande ce que je serais capable de faire si toute l’énergie que me coûtent ces contradictions et les angoisses qu’elles engendrent était canalisée et tendue vers un point précis.

11 grues à l’horizon

Jeudi 21 novembre 2002

Maman : Moi aussi j’ai cherché, ça sert toujours à quelque chose. Ca permet d’attendre le moment où ce n’est plus la peine de chercher. Même si on n’a pas trouvé…

Octave : Je ne crois pas qu’un jour tu auras fini de chercher.

Effectivement, je doute (aussi) de ne plus chercher un jour. Jusqu’à présent je l’ai toujours fait. Quand j’étais petit je cherchais déjà. Je vidais intégralement tous les placards qui étaient à ma portée, je creusais des trous (dans le jardin ou dans le sable quand j’étais à la mer), je cherchais le cadeau Bonux, je cherchais les oeufs de Pâques et les cadeaux de Noël, je cherchais le chemin, je cherchais des pierres quand je m’étais mis en tête de les collectionner, je cherchais des trèfles à quatre feuilles, je cherchais des lucioles, je cherchais mes mots (je continue), je cherchais ce que je perdais, je cherchais des solutions en mathématiques, je cherchais ma soeur, je cherchais des étoiles filantes (j’étais déjà un peu plus vieux… bah oui avant je me couchais trop tôt !)… Par la suite j’ai continué à chercher mais ce manière plus dématérialée. Je cherche dans des livres ou dans ma tête. Finalement je ne suis pas sûr de chercher pour trouver. Je ne cherche peut-être que pour chercher. Pourtant je n’ai pas du tout envie d’être chercheur professionnel (déférence gardée à l’égard d’Eve). Je devrais peut-être essayer détective privé… bof ou alors chasseur d’héritiers ! Je trouve ça plus sympa.

J’ai bien aimé Ma mère préfère les femmes. En général j’aime bien les films espagnols, même si (sacrilège !) je ne suis pas friand de ceux de Pedro Almodovar. Le lien entre ces deux phrases est Leonor Watling (elle jouait la fille dans le coma de Parle avec elle). Elle est très mignonne !! Bon plus sérieusement, le film est très agréable. Les films étrangers sont bien pour ça aussi : on voit de nouvelles têtes. Ca change des acteurs américains qu’on a déjà vus x fois et qu’on imagine toujours plus ou moins dans un ancien rôle.

Down

Lundi 18 novembre 2002

Dans Nuits-lumière (chez Librio), Pierre Bordage écrit :


Jetez un coup d’oeil sur les encyclopédies de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. La vision laïque a supplanté la religion, les hommes d’affaires ont remplacé les missionnaires, mais les mécanismes restent les mêmes : la mainmise sur des territoires au nom d’un intérêt supérieur, qu’il s’appelle Dieu, la République ou l’argent.
[…]
Les historiens orthodoxes affirment que les pyramides d’Egypte ou les temples mayas ont été construits pendant des dizaines d’années par des dizaines de milliers d’esclaves, précisa Arsène. Le simple bon sens montre qu’il s’agit là d’une hypothèse fort peu crédible, voire absurde. Non seulement il a fallu hisser à plus de cinquante mètres de haut des blocs de plusieurs centaines de tonnes, mais il a fallu les faire venir parfois de très loin et les ajuster avec une précision millimétrique. Voilà la démarche systématique des Occidentaux face à des merveilles inexplicables : plaquer une explication réductrice, minimaliste, qui n’égratigne surtout pas le dogme de la suprématie occidentale. Vous voyez, vous avez toujours besoin d’agir au nom d’un intérêt supérieur. Comme les missionnaires et les conquistadors des anciens temps.”

C’est pas faux, non ?

Un peu plus loin :

“Ma longue vie m’a enseigné que, souvent, le besoin de savoir n’est qu’un prétexte pour refuser d’avancer.”

Est-ce à moi qu’il s’adresse ?

Il faut avouer qu’à la maison nous cassons beaucoup de vaisselle. A cause d’un malheureux verre que j’ai brisé en l’essuyant (mais il était fêlé !) nous sommes venus à discuter de ce problème. Nous sommes dans la cuisine, maman, Jacques (mon beau-père) et moi :
- Le jour où tu vivras chez toi tu voudras avoir de la belle vaisselle et tu seras bien embêté si tes enfants la cassent (mais non je ne suis pas Tanguy… je gagne beaucoup moins que lui ; vous noterez que ma mère a trouvé ce film cruel tandis que moi j’ai beaucoup rigolé).
- Je n’achèterai pas de vaisselle. Ou alors j’achèterai de la vaisselle en plastique comme dans les restaurants asiatiques.
- Peut-être que tu vivras avec quelqu’un qui voudra de la belle vaisselle.
- …
- Toi ce qu’il te faut c’est de la vaisselle en étain.
- Ah bah non, c’est un coup à casser le carrelage ça ! Ou alors il faut que j’ai de la moquette dans la cuisine, mais ce n’est pas très pratique.
- De toutes façons c’est dans l’évier qu’on casse le plus (nous avons un vieil évier en porcelaine ou une matière blanche et dure qui y ressemble).
- Il faut tapisser l’évier avec de la moquette.
- Un évier en plastique ça suffirait peut-être.
- Non, non je vais tapisser l’évier avec de la moquette. Ou alors il faudrait un évier en caoutchouc !
- Non, la vaisselle va rebondir dedans et finir par terre.
- Non, non s’il est rempli d’eau ça tend le caoutchouc et la vaisselle ne rebondira pas.
- Oui mais alors on ne peut rien ranger sous l’évier.
- Il faut choisir un caoutchouc un peu épais pour que la poche d’eau ne soit pas trop grosse.

Quittons la cuisine pour les WC. J’ai découvert quelque chose qui m’inquiète. Le produit qui sert à nettoyer la cuvette, vous savez celui avec un cou de canard, sent exactement la même odeur que les Mister Freeze bleus (c’est à dire parfum framboise ou fruits de la passion, le débat n’a jamais été tranché). :o/

Qui me cherche ?

Samedi 16 novembre 2002

Lundi est férié, il n’y a pas cours de rock. Je dîne chez Octave et Eléonore avec Clarisse et Oscar (finalement j’ai décidé de prénommer mon entourage, il me semble que c’est plus agréable à lire ; tant qu’à faire je me fais plaisir avec les prénoms). Nous jouons aux cartes. J’ai l’impression que Clarisse me regarde de travers toute la soirée. Ce n’est peut-être qu’une impression, j’ignore ce qui pourrait motiver cete attitude. On ne se voit jamais que par l’intermédiaire d’Eleonore dont elle est l’amie. Autant dire que c’est donc sans importance. Nous jouons aux cartes. Je perds. Quand j’étais petit je détestais perdre mais maintenant je m’en fous.

Mardi je vois mon cousin Stanislas. Il passe à la maison, nous dînons avec maman et Jacques, mon beau-père. Ensuite nous sortons boire un coup en ville. Il me parle, je le trouve beaucoup plus motivé que moi, plus doué aussi, dans sa partie. Ce n’est pourtant pas ce qu’il me dit. Je ne sais plus bien ce qui est vrai et ce qui est le fruit de mon angoisse. Parfois je me dis que j’égale aisément tel ou tel, d’autres fois que je me demande ce que je sais faire. Peut-être suis-je cyclothymique ?

Mercredi j’emmène mon parapluie. J’ai entendu à la radio qu’il allait pleuvoir. Je l’ai cru. J’ai traîné mon fameux (si, si !) parapluie vert toute la journée sans le laisser s’ouvrir une fois. C’est comme ça, on croit des choses et puis ce n’est pas vrai. Parfois on ne le réalise pas, d’autres fois si. L’important c’est de continuer à croire par la suite. Ce n’est pas toujours facile. Prenons mon cas personnel, par exemple. J’ai l’impression que ma capacité à croire s’est affaiblie, qu’avant elle était plus importante. Je me demande si c’est une forme de nostalgie (c’était mieux avant), s’il faut y voir un manque de confiance en soi (peut-être seulement conjoncturel) ou bien une évolution plus profonde…

Je déjeune avec Octave et Théophile. Ensuite, avec Théophile, nous allons au cinéma. Une femme de chambre me déçoit. C’est bien joué, Jean-Pierre Bacri, fidèle à lui-même (je ne peux pas croire qu’il soit différent dans la vie), fait la gueule, et Emilie Dequenne confirme une fois de plus combien elle est douée. Le problème est que de la part de Claude Berri c’est très léger. Il est possible que j’ai du mal à me retrouver dans les problèmes des hommes de cinquante ans mais j’ai le sentiment que Claude Berri ne fait plus que des films à propos de de sa situation. Il y a également certaines facilités comme le dernier plan qu’on regrette un peu de sa part.

Je dois passer la soirée avec Matthieu et Yvan (qui n’est pas en grande forme, ce qui s’est confirmé au fil de la discussion). Je suis en avance. Je fais un petit détour par Compagnie. Il fait déjà nuit. J’y rentre comme on gagne un abri. Je tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. Je succombe au charme discret des Fées, sorcières ou diablesses d’une (légère) anthologie Librio. Mon manteau est un peu ample, j’avance précautionneusement entre les tables. Au sous-sol je trouve le nouveau Fred Vargas que je prends pour ma mère, je le lirai aussi, et Une étoile m’a dit de Fredric Brown. Remonté je longe les rayons de littérature étrangère jusqu’aux livres de photos. Au détour du retour vers la caisse je découvre des éditions de poche des aventures de Charlie Brown. Je me présente pour payer en me fustigeant intérieurement pour ces dépenses déraisonnables et pour avoir craquer une fois de plus dans une librairie. Je ne peux pas passer ma vie à bouquiner, je dois tra-vail-ler et puis je sais que je ne devrais pas me retirer encore dans des livres et dans mon imagination. Je suis juste dans les temps pour rejoindre Matthieu. Nous avons donné rendez-vous à Yvan dans un bar afin d’attendre tranquillement au chaud. Il arrive une bonne heure plus tard et nous raconte ses problèmes (ce qui est exceptionnel de sa part, il parle encore moins que moi). Nous avons mangé, puis nous sommes allés dans un autre bar. La soirée s’est écoulée doucement. Yvan a une vie de famille classique, la plus classique de mon entourage, pour cette génération. Pourtant ça n’a pas l’air simple du tout. Qu’est-ce qui est le mieux ? Ma situation ne me satisfait pas mais c’est la mienne, je n’échangerais pas avec lui. Matthieu nous a ramené. C’est sympa, ça m’évite les transports en pleine nuit. En général l’attente est plus longue que le trajet à ces heures.

Jeudi j’ai rendez-vous avec Jérôme. Nous passons l’après midi ensemble. Je travaille plus ou moins avec lui sur un projet créatif, au sens large. Disons que c’est le début mais je crains que cela ne me fournisse pas un emploi stable. Or la vie est ainsi faite qu’il faut un salaire. J’aimerai bien vivre chez moi un jour. Le soir je dîne (encore… ça me rappelle une époque où je passais autant de temps sinon plus chez Octave que chez moi) chez Octave et Eléonore avec Nathan cette fois. Ils ont fait une fondue. C’est bon. Je raconte des bêtises. Une fois Eléonore m’a dit que je n’étais pas drôle. Je lui avais répondu que je faisais rire les gens, elle m’avait rétorqué qu’ils ne riaient pas avec moi mais de moi. Je ne sais pas dans quelle mesure elle était sérieuse, d’autant plus qu’elle n’est pas drôle ! C’est le résultat qui compte : ils rient. Ils rient de moi au moment où je dis des bêtises mais c’est comme un rôle. C’est exactement comme dans le travail. On remplit une fonction, il faut faire la part des choses, il faut faire abstraction. Je me demande si elle n’aurait pas du mal avec cette idée. Elle est plutôt terre à terre. Un exemple : elle préfèrais les playmobil, moi les legos. On ne peut rien construire avec les playmobil ! Je dis à Octave : La nature je la connais mieux que toi et tout le monde rit… de moi mais rit. Les gens sont cruels, ils rigolent de mes histoires quand j’étais petit. Je construisais des cabanes, je faisais des barrages sur les ruisseaux, de la luge dans les champs l’hiver… (mes grands-parents vivent à la campagne). Je m’en moque (moi aussi !), c’est à moi.

Vendredi je traîne d’une patte sur l’autre. Je petit-déjeune en regardant les deux derniers épisodes d’Ally Mc Beal. C’était à peu près la seule série que je suivais régulièrement, depuis plusieurs années. Je suis déprimé. Je me couche trop tard, je me lève trop tard, j’ai envie de dormir dans la journée alors que j’ai passé largement assez de temps au lit. L’inactivité m’est de plus en plus néfaste. Le soir je vais à une soirée rock avec ma soeur (que j’ai rebaptisée Calliope). Je suis content. Je ne me mine pas quand je vais aux cours ou aux soirées comme celles-là. C’est le seul domaine où j’ai l’impression de faire quelque chose et de progresser. Quand je pense que j’aurais pu ne jamais m’inscrire…

J’avais le sentiment que la période était plutôt sombre pour moi mais à voir tous ces gens j’ai le sentiment que c’est plus général.

Je réalise avec le temps qu’il m’est infiniment plus facile de travailler sur quelque chose d’existant même manifestement mauvais, à mon sens, qu’à partir de rien, en créant ex nihilo. C’est pour ça que, bien que je ne l’ai que rarement fait, je trouve plus dynamique le travail (notamment de création) à deux. J’obéis sans doute à un schéma de fonctionnement réactif. Plus concrètement je me suis aperçu qu’il valait mieux que j’écrive ce qui me passait par la tête quitte à le remanier plusieurs fois par la suite ou carrément à le jeter plutôt que de réfléchir encore et encore pour trouver la bonne formule ou bien développer la bonne idée. Ca me fait repenser à mon histoire d’orpailleurs et d’alchimistes.

En lisant l’introduction de Fées, sorcières ou diablesses je réalise que j’avais totalement oublié que les Moires sont l’équivalent grec des Parques romaines. Dans la mythologie antique les moires (ou les parques) étaient les divinités du destin. Elles étaient trois soeurs, Clotho (Nona), Lachésis (Decima) et Atropos (Morta), et présidaient respectivement à la naissance, la vie et la mort des humains. On les représente traditionnellement près d’un métier à tisser. Chaque fil est une vie, Clotho le tire de sa quenouille, Lachésis le tend et Atropos le coupe. Je découvre un nouveau sens au titre de cette page : Mes moires (mes reflets), mémoires, mes moires (ma vie). On dissertera à loisir sur l’émancipation de la création par rapport au créateur (quoique je ne sois pas le seul à avoir penser à ce titre mes moires).

J’ai peur de ne pas y arriver. Fondamentalement je crois que c’est ça. Je me demande d’où ça vient. Il n’y a sans doute pas une raison précise mais un ensemble d’éléments qui se conjuguent. Pourquoi y arriver aussi ? J’ai peur de ne pas accomplir ou de ne pas m’accomplir à moins que ce ne soit l’inverse. Je n’aime pas la fin. Je l’ai souvent écrit. Je n’aime pas que les choses se terminent. Cela veut dire qu’inconsciemment je pense que les choses en question sont heureuses. Je suis comme tout le monde, je ne veux pas souffrir, et le cas échéant je ne veux qu’une chose : que cela cesse. Je me souviens avoir entendu un enregistrement de Jean Giono dans lequel il disait qu’un homme qui souffre ne pense qu’à ça et n’a qu’une seule et unique envie : que cela cesse. Tout son être est concentré sur cette douleur. Sa douleur devient le pôle principal autour duquel toute chose s’organise et prend son sens. On ne peut pas avoir envie de mourir, c’est impossible. On meurt quand on n’a plus envie, en-vie. Si je souffre j’ai envie que cela cesse, que la douleur cesse, pas ma vie. Pour en revenir au début du paragraphe (car comme toujours je me disperse), je suis paresseux, ce qui n’arrange pas les choses. Au bout du compte je me demande d’ailleurs qui de la peur ou de la paresse sert à dissimuler l’autre. Pourtant parfois je relève la tête, je regarde autour de moi et je me dis que je ne suis pas plus con qu’une part non négligeable de la population (ce sont sans doute des crises d’orgueil ; avant j’en avais plus et je me sentais mieux) mais je me dis que ça ne se voit pas, que je ne suis pas suffisamment brillant pour cela (pour le coup cette notion de brillant, scolaire par excellence, prend tout son sens).

Léonard de Vinci a écrit : Qui ne doute pas acquiert peu. Soit. Toutefois j’aimerais bien douter un peu moins, quitte à acquérir un peu moins. Je crois que j’ai conservé des séquelles des études : je culpabilise de ne rien apprendre. Je suis sûr que c’est en partie pour ça que je lis autant. Alors j’apprends des choses qui ne servent à rien mais que je trouve sympa.

11 grues à l’horizon

Jeudi 14 novembre 2002

J’ai une semaine chargée pour quelqu’un d’inactif… (ok ça consiste beaucoup à voir des amis, mais bon c’est important, non ?) Toutefois, je prends des notes, je raconterai bientôt.

Au fond

Lundi 11 novembre 2002

Je n’ai pas toujours une très haute estime de moi-même mais quand je relis mon C.V. je suis carrément inquiet. Je finis par me demander à quoi je passe mon temps. En fait il y a plein de choses qui m’intéressent mais d’un point de vue utilitaire pour un recruteur je crains que ça ne soit pas très prégnant (là c’est du jeu social comme je n’aime pas). Je suis un peu touche à tout mais le revers de la médaille est que je ne suis réellement doué pour rien. J’ai du mal à comprendre les gens qui consacrent la quasi totalité de leur temps à une chose en particulier, un domaine, une activité (type sportifs de haut niveau ou bien les bourreaux de travail qui consacrent 70 heures par semaine à leur boulot)(je me rends compte que mon propos est à prendre avec des pincettes, tel que je l’écris on pourrait croire que je ne comprends pas les gens qui travaillent, ce n’est pas le cas, au contraire, il faut bien vivre. On me dira oui mais c’est une passion, soit, je dis juste que c’est très loin de ma vision des choses). J’aurais l’impression de rater mille choses en faisant ça. Paradoxalement j’ai certaines difficultés en matière de relations humaines et j’entretiens des rapports avec assez peu de gens mais solides. Je n’ai pas vraiment de relations du genre qu’on voit comme ça, comme des collègues de bureau ou des partenaires de tennis (j’ignore pourquoi je pense à cet exemple). En fait je n’aime pas les relations légères, ce n’est pas rassurant. Pourtant je reconnais volontiers que cela présente des avantages certains.

Je vois moins de gens qu’à une certaine époque. J’imagine que c’est la vie. Ca changera sans doute et puis je crois qu’on trouve toujours ce qu’on cherche. Seulement notre quête est parfois inconsciente,ce qui peut causer certains décalages entre la réalité et la perception que nous en avons. Il faut faire un effort de lucidité. Je vois moins de gens parce que je suis sorti du cadre classique de la fac, parce que j’ai passé énormément de temps sur le net, parce qu’un de mes meilleurs amis s’est expatrié en Belgique et que nous entretenons des rapports plutôt frais pour diverses raisons, parce que je suis célibataire ce qui proscrit les sorties en couple (tant à deux qu’avec mes amis qui vivent en couple), parce que je ne suis pas très facile d’accès. Il y a beaucoup de faces cachées dans le diarisme, il n’y a pas que ça mais il y en a une part non négligeable à mon sens. Je me demande dans quelle mesure nous nous retrouverions si nous nous décrouvriions au quotidien. Je ne dis pas que ce que nous (vous permettrez ce nous si vous vous y retrouvez) écrivons est faux, je ne le pense pas. Par contre je pense que c’est ce que nous ne disons pas. Quel est l’intérêt d’écrire ce qu’on a déjà dit ? Nous ne sommes pas là pour faire des procès-verbaux. J’écris ce que je ne peux pas ou ne veux pas dire mais que je ressens le besoin d’exprimer. Il se trouve que dans le cas présent c’est par le biais de l’écriture mais il y a d’autres manières. Il y a beaucoup de choses ici que je ne saurais pas dire, du moins dont je ne sais pas à qui je serais capable de les dire. Pourtant cette partie parfois (parce que d’autres fois j’écris des bêtises, bien sûr c’est moi aussi le grille-pain mais c’est moins sensible) très intime et très secrète (sauf éventuellement pour ceux qui la devinent mais ce qu’on devine reste toujours plus ou moins flou) influe sur la partie visible de moi-même. Je pense que cette partie cachée correspond souvent chez les gens à ce qu’on ne comprend pas. On se doute qu’il y a quelque chose là derrière, mais on ne sait pas quoi. Une idée a commencé à poindre en moi : peut-être pourrai-je, un jour, faire lire tout ça à des lecteurs choisis cette fois, déférence gardée à ceux qui me lisent actuellement et qui même interviennent parfois, ce pour quoi je leur suis reconnaissant.

L’écriture offre une distance suffisante pour parvenir à exprimer certaines choses mais il est vrai que tant qu’à écrire autant être lu plutôt que de cacher un cahier dans un tiroir. J’admets volontiers que l’attitude est assez paradoxale. On pourrait parler d’une troisième voie si l’expression n’avait pas été si dévoyée. Ceci dit ce n’est peut-être pas si paradoxale que ça. Il s’agit de confronter une part de sa personnalité aux autres mais à travers un filtre à défaut d’y parvenir de manière plus traditionnelle. Les mots écrits sont nettement détachés de soi contrairement aux mots dits. D’autant plus s’ils ne sont pas écrits à la main. Il n’y a plus trace de ma personne physique. Bien sûr on pourra m’opposer le fait qu’on peut très bien enregistrer sa voix mais il y a de soi dans sa voix, comme dans son écriture manuelle, on reconnaît le timbre de celui qui parle. Les intonations sont aussi significatives que les mots employés. L’écriture est forcément plus brute et atteint son paroxysme avec la typographie. Pourtant je sais bien qu’on cherche beaucoup plus à imaginer physiquement un auteur (c’est uniquement pour les besoins de ma phrase, prenez le dans le sens de quelqu’un qui écrit) qui parle de lui qu’un auteur de romans. Les mots écrits ne sont donc pas totalement détachés tant qu’ils décrivent une réalité. Il y a au moins une personne qui me lit et qui m’a déjà vu (souvenez-vous…)(oui, je suis rencontrable) et inversement. Cela fait une différence. Une petite car on ne se connaît pas en un déjeuner. A y repenser c’est tout de même étrange car on conserve une certaine pudeur, on ne peut pas discuter comme ça de ce qu’on a lu de l’autre et pourtant on n’est pas confronté à une personne étrangère. C’est une rencontre inversée en quelque sorte. Vous rencontrez quelqu’un que vous connaissez, en partie, de l’intérieur. Vous découvrez l’enveloppe charnelle au sein de laquelle vous savez certaines choses que les observateurs autour de vous, qui la découvrent en même temps que vous, ignorent. La situation ne m’a pas gênée (contre toute attente) du fait de la réciprocité. Ensuite vous associez une image aux mots. Si tant est qu’il y en ait je suis désolé pour les personnes curieuses de ma physionomie mais je tiens pas à mettre de photo ici. Les gens que je connais en vrai ignorent que j’écris et je ne tiens pas à ce qu’ils le découvrent en me reconnaissant ici. Et puis je reste relativement méfiant vis à vis du net. N’importe qui peut arriver ici. De toutes manières je ne suis pas très photogénique, je ne vous laisserai donc imaginer qu’une silhouette : je mesure 1m72, pèse 65 kilos, j’ai les cheveux châtains clairs plutôt courts, les yeux… ça se discute (on dirait un avis de recherche)… je ne suis ni armé ni dangereux.

Cependant je ne perds pas le fil. Si je vois moins de monde c’est parce qu’au fond je n’étais pas très à l’aise avec du monde autour de moi. Je n’aime pas trop les groupes. L’idéal c’est d’être deux parce qu’on peut se concentrer sur l’autre. Trois est presque toujours deux plus un. Quatre ça peut encore aller. Pour un repas on peut se réunir jusqu’à huit. Au-delà, c’est trop. C’est bien pour une soirée ou une fête, mais ce n’est plus un groupe ce sont des personnes réunies en lieu précis. Je ne suis pas très à l’aise s’il y a beaucoup de monde autour de moi mais je ne suis pas paniqué. Ce n’est pas de l’agoraphobie. Cela fait des années que je prends les transports en commun y compris aux pires heures sans jamais m’être senti inquiété, ni au cinéma, ni dans la rue, etc Non la rencontre humaine (dès lors que l’autre en face peut me découvrir) me stresse, je crois. J’imagine que c’est un problème de confiance en soi. Je crains de décevoir l’autre parce que je n’en saurai pas assez, je parlerai et j’agirai mal, je ne lui plairai pas. J’ai l’impression que j’ai pris la mauvaise habitude d’anticiper tellement une réaction déçue que je n’essaye plus que rarement (ce qui est assez prétentieux finalement puisqu’en faisant ça je prétends savoir ce qu’il pense mieux que lui (je parle toujours de l’autre)). A la longue ça me pèse, ce qui commence à provoquer une réaction inverse de ma part : je fais des efforts pour communiquer (enfin vous voyez ce que je veux dire quoi…).