Archive pour novembre 2004

Nourritures

Samedi 27 novembre 2004

Tu me diras peut-être : il existe encore dans certaines villes ou oasis des jardins de délices, comme celui dont je parle. Pourquoi, au lieu de les prendre et de nous y installer, pourquoi préférons-nous courir sans cesse le désert derrière nos troupeaux ? Oui, pourquoi ? C’est l’immense question dont la réponse contient toute sagesse. Or cette réponse la voici : c’est que les fruits de ces jardins d’aujourd’hui ne ressemblent guère à ceux dont se nourrissaient nos ancêtres. Ces fruits d’aujourd’hui sont obscurs et pesants. Ceux des premiers bédouins étaient lumineux et sans poids. Qu’est-ce à dire ? Il nous est bien difficile de concevoirce que pouvait être la vie de nos ancêtres, déchus et dégénérés que nous sommes! Pense donc, nous en sommes arrivés à admettre comme allant de soi cet horrible dicton : “ventre affamé n’a pas d’oreilles.” Eh bien, du temps dont je parle, ventre affamé de nourriture et oreilles affamées de savoir, c’était une seule et même chose, car les mêmes fruits satisfaisaient ensemble ces deux sortes de faim. En effet ces fruits n’étaient pas seulement divers par la forme, la couleur et le goût. Ils se distinguaient aussi par la science qu’ils conféraient. Certains apportaient la connaissance des plantes et des animaux, d’autres celle des mathématiques, il y avait le fruit de la géographie, celui des arts musicaux, celui de l’architecture, de la danse, de l’astronomie, et bien d’autres encore. Et avec ces connaissances, ils donnaient à ceux qui les mangeaient les vertus correspondantes, le courage aux navigateurs, la douceur aux barbiers-chirurgiens, la probité aux historiens, la foi aux théologien, le dévouement aux médecins, la patience aux pédagogues. En ce temps-là, l’homme participait de la simplicité divine. Le corps et l’âme étaient coulés d’un seul bloc. La bouche servait de temple vivant - drapé de pourpre, avec son double demi-cercle d’escabeaux d’émail, ses fontaines de salive et ses cheminées nasales - à la parole qui nourrit et à la nourriture qui enseigne, à la vérité qui se mange et se boit, et aux fruits qui fondent en idées, préceptes et évidences…

La chute de l’homme a cassé la vérité en deux morceaux : une parole vide, creuse, mensongère, sans valeur nutritive. Et une nourriture compacte, pesante, opaque et grasse qui obscurcit l’esprit et tourne en bajoues et bedaines!

Alors que faire ? Nous autres, nomades du désert, nous avons choisi la frugalité la plus extrême, jointe à la plus spirituelle des activités physiques : la marche à pied. Nous mangeons du pain, des figues, des dattes, des produits de nos troupeaux, lait, beurre clarifié, fromages très rarement, viande encore plus rarement. Et nous marchons. Nous pensons avec nos jambes. Le rythme de nos pas entraîne notre méditation. Nos pieds miment la progression d’un esprit en quête de vérité, une vérité certes modeste, aussi frugale que notre alimentation. Nous remédions à la cassure entre nourriture et connaissance en nous efforçant de les maintenir dans leur plus extrême simplicité, convaincus qu’on ne fait qu’aggraver leur divorce en les élaborant toutes les deux. Certes nous n’espérons pas les réconcilier par nos seules forces. Non. Il faudrait pour cette régénération un pouvoir plus qu’humain, divin en vérité. Mais justement, nous attendons cette révolution, et nous nous plaçons par notre frugalité et nos longues marches à travers le désert, dans la disposition la plus propre, croyons-nous, à la comprendre, à l’accueillir et à la faire nôtre, si elle se produit demain ou dans vingt siècles.

Gaspard, Melchior & Balthazar, Michel Tournier

Question

Samedi 27 novembre 2004

Une question que je me pose épisodiquement (heureusement) depuis que je suis enfant : pourquoi pleurer provoque des maux de tête ?

Au programme

Jeudi 25 novembre 2004

En 2005 le premier Ministre promet qu’il fera baisser le sida d’au moins 2 % et qu’il lancera une campagne nationale de dépistage du chômage.

Je vois déjà poindre à l’horizon 2006 la campagne nationale de vaccination contre la grève et l’admission des lettres de plus 250 grammes en service économique pour un tarif modique qui renforcera le pouvoir d’achat des ménages et dynamisera la consommation.

Le facteur passera-t-il encore ?

Lundi 22 novembre 2004

Pour les besoins de la cause (professionnelle) je dois parcourir le Code des Postes et Télécommunications (aujourd’hui) Electroniques.

En voici quelques extraits (j’avais écrit sourires) qui m’ont fait sourire. Ces dispositions sont toujours en vigueur et côtoient celles relatives aux Communications électroniques ce qui augmente encore leur charme anachronique et désuet.

Article 1 : Le service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire. […] Les services de levée et de distribution relevant du service universel postal sont assurés tous les jours ouvrables, sauf circonstances exceptionnelles.

Article 2 : La Poste est le prestataire du service universel postal. […]

Article 4 : Tout capitaine ou membre de l’équipage d’un navire arrivant dans un port de France est tenu de porter ou envoyer sur-le-champ au bureau de poste du lieu toutes les lettres et tous les paquets qui lui ont été confiés autres que ceux constituant la cargaison de son bâtiment.

Les petits détails qui en disent long

Lundi 22 novembre 2004

Hier soir je trompais ma solitude dans un cinéma de banlieue presque vide, toujours le même, mais cette fois dans la grande salle.

Les lumières rallumées la fille qui se trouvait assise dans le rang devant le mien s’est levée et alors que sa mère et elle tendaient leur bras au-dessus du père assis entre elles pour se passer un manteau, geste typique des salles de cinéma, j’ai constaté que son pull était troué sous l’aisselle gauche.

J’ai été fort intrigué car j’ai fait le constat que je trouais pratiquement tous mes pulles exactement au même endroit.

L’hypothèse d’une malformation semble dès lors à écarter sauf à ce que nous soyons victimes de la même.

Une faiblesse innée du pull ne saurait pas plus prospérer puisque j’ai des pulls de divers modèles et marques et que le sien semblait être encore différent.

Ce n’est qu’en rentrant chez moi, l’esprit encore occupé par ce problème, que j’ai compris.

Elle était droitière comme moi et je suppose que nous devions nous dévêtir de la même manière.

Il n’existe fondamentalement que deux méthodes pour quitter un vêtement qui couvre le haut du corps et qui ne peut se retirer que par la tête faute d’autre ouverture.

On peut croiser les bras devant soi, saisir de chaque main l’extrémité du vêtement au niveau de la taille et remonter lentement le long du tronc ses bras toujours croisés jusqu’à la tête où ils peuvent enfin se décroiser en un déploiement du plus bel effet. Une main doit alors lâche prise tandis que l’autre achève seule le passage du col au-dessus de la tête et récupère ainsi le vêtement. Il est possible toutefois de lâcher prise juste après le passage du col. Ce mouvement s’achève systématiquement de la même manière : la boule de tissu est projetée plus ou moins au hasard.

Il existe une variante dans laquelle les deux mains restent serrées sur le tissu et se décroisent en faisant glisser le dos du vêtement par sur la tête. Le col est alors passé en premier, et non simultanément avec une manche.

A la fin de ce premier processus le vêtement est à l’envers et roulé en boule ; la variante peut permettre d’éviter ce résultat.

L’autre méthode consiste pour les droitiers à saisir de la main droite l’extrémité de sa manche gauche (inversément pour les gauchers) et de tirer dessus jusqu’à libérer l’épaule gauche. Dans un deuxième temps on procède de la même manière pour la manche droite. Enfin on passe le col avec la main de son choix.

La variante de cette seconde méthode consiste à passer le col avant la seconde manche.

Ce second processus laisse le vêtement à l’endroit et prêt à être plié mais il est plus traumatisant pour le pull dont la couture placée sous l’aisselle gauche (ou droite pour les gauchers) est soumise à une traction plus ou moins violente qui la fragilise jusqu’au déchirement et à l’apparition du fameux trou.

A présent il me faut que je trouve des gauchers porteurs de pull qui les ôtent de la seconde méthode pour vérifier la justesse de cette théorie.

Note pour le bureau

Dimanche 21 novembre 2004

Il y a certes des hommes réfractaires à cette formation autour d’eux d’une équipe de soutien. Ce n’est pas forcément bon signe. La différence entre un “patron” et un aventurier, c’est la solitude de l’aventurier. Le patron ne fait rien lui-même. Ce n’est pas son rôle. Son rôle, c’est de trouver - ou d’attirer spontanément - des seconds auxquels il saura déléguer son autorité. Un patron qui se plaint de l’incapacité de ses collaborateurs se condamne lui-même. Il a failli sur l’essentiel qui est le choix de ses hommes. S’il se dit obligé de tout faire lui-même, il avoue par là qu’il n’est qu’un aventurier.

Célébrations, Michel Tournier

Mélancolie

Dimanche 21 novembre 2004

A propos de Melencolia I, gravure fameuse d’Albrecht Dürer, Michel Tournier écrit :

L’atmosphère générale est triste et pesante, mais elle baigne dans un calme studieux et spirituel qui sera le sujet même de la gravure de la même année, “La cellule de Saint Jérôme”. C’est que la mélancolie n’est ni la dépression, ni le désespoir. Pierre Mac Orlan affirmait que les mélancoliques ne se suicident jamais. Il y a même en elle une possibilité de bonheur. On connaît la célèbre définition de Victor Hugo : “La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste.” Mais avant lui Montaigne a écrit : “Il y a quelque ombre de friandise et délicatesse qui nous rit et qui nous flatte au giron même de la mélancolie” (”Essais”, II, 20)
Mais la plus belle interprétation de la mélancolie se trouve dans les “Cahiers” de Paul Valéry - dont le “taedium vitae” marqua profondément la sensibilité. A quoi songe Melencolia ? Le poète de la “Jeune Parque” répond admirablement à cette question. Ce qui accable de tristesse l’ange couronné, c’est l’affreux massacre de tous les possibles que le cours de la réalité exige.

“Apparition de la Divine Mélancolie sous figure d’un jeune être - jeune fille vierge ou héros - chargé du soin de ce qui n’a pas été, de ce qui n’a pas pu être - de tout ce qui gonfle le coeur de larmes qui ne peuvent elles-mêmes jaillir - d’une tendresse sans réponse.
Sa voix est infiniment douce et voilée, comme s’adressant à elle-même et sans interlocuteur concevable. Car cette créature est au-delà du possible. Elle est donc hors de la vie et du monde, mais cependant vivante injure à Dieu, car la Toute-Puissance de peut rien pour racheter ce qui ne fut pas - et la tromperie du monde créé à l’égard des humains. Thème de l’impuissance divine.
Athikté pleure et ses jambes ploient sous elle lentement. Elle s’endort en larmes.” (”Cahiers”, II, p.1336-1337)

Le passage mis en gras à mon initiative résonne tout particulièrement en moi.

1984

Samedi 20 novembre 2004

Je crois qu’il faut parler aujourd’hui d’homogénéisation plutôt que de globalisation ou de mondialisation, qui ne sont pas nocives par définition. Il serait trop facile de tout mettre sur le dos des américains. L’enjeu se situe plutôt entre ceux qui collaborent à l’uniformisation planétaire et ceux qui résistent en défendant des identités personnelles.

Jonathan Nossiter, le réalisateur du film Mondovino, que je n’ai pas vu, dans une interview pour le magazine de la FNAC, Epok qui pose la question : Allons-nous vers un goût unique ?

Je l’avais sous le nez

Samedi 20 novembre 2004

[…] quel besoin de procréer quand on est éternel ? Le sexe et la mort sont solidaires.

Célébrations, Michel Tournier

Avec le fil des jours pour unique voyage

Samedi 20 novembre 2004

Toutes les interviews autour du voyage accordées par les invités du Routard mag.