En flânant à l’heure du déjeuner dans les rayons de la FNAC j’ai découvert par un heureux hasard que Martin Page avait publié un nouveau roman intitulé On s’habitue aux fins du monde sur lequel je me suis précipité oubliant toutes mes bonnes résolutions relatives à la lecture et à mes finances.
Les oeuvres de Martin Page qui est le seul auteur que j’ai rencontré volontairement et dont je possède un exemplaire dédicacé sont autant de filons truffés d’idées merveilleuses ou au moins excellentes dont je me délecte à chaque nouvelle parution.
Toutes les deux pages je voudrais en recopier trois.
Néanmoins je ne résiste pas au plaisir d’en consigner quelques brefs extraits.
Il y avait des jours où Elias croyait avoir réussi : ils vivaient la vie de leurs voisins, et après tout c’était son objectif, vivre la vie de quelqu’un d’autre. Puis, à cause d’un détail, d’un mot pris pour un autre ou d’un coucher de soleil mélancolique, Clarisse retombait. Et il tombait avec elle.
***
Il y a une différence entre savoir la vérité et se l’entendre dire. Quand on l’a à l’intérieur de soi, on la cajole, car on la transforme vite en animal domestique. On la caresse, on la couvre de couvertures et on la corrompt avec toutes ces nourritures que nous produisons dans notre esprit. On la fredonne aussi, alors ce n’est plus qu’un chanson qui nous fait pleurer sur notre propre sort.
Le meilleur service que puissent nous rendre nos proches est de nous apprendre ce que nous savons déjà. Elias se doutait de la raison de son amour pour Clarisse. Il avait juste besoin que quelqu’un articule les mots qui flottaient dans sa tête.
[…]
- L’alcool me rappelle Clarisse.
- L’alcool vous rappelle son alcoolisme. C’est très différent. Qui regrettez-vous ? Clarisse ou sa maladie ? Est-ce que vous avez vraiment envie de m’entendre dire des choses désagréables ?
- Je crois que c’est assez pour aujourd’hui. C’est assez pour longtemps.
***
- Je suis un peu à cran. Il ont retiré les penne aux poivrons et au parmesan de la carte du Roma. Et puis, Clarisse me trompe.
- L’idiote. Tu en es sûr ? Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
- Le fait qu’elle ait un amant a éveillé mes soupçons.
***
- … Merde, rappelle-moi, au fait, pourquoi Dieu a inventé la vieillesse ?
- Parce que certains ne regrettent pas leur jeunesse.
- Mauvaise réponse. C’est parce que les corps vieux sont plus facilement biodégradables.
***
Tant de fois Elias aurait voulu dire : blessures, laissez-moi vous refermer. Mais il avait résisté. Il ne faut pas guérir, sinon les êtres aimés sont supprimés une deuxième fois. Il y a une fidélité au malheur que les bien portants ne peuvent pas comprendre. La fidélité au malheur est un patriotisme, un sentiment fort et beau, le refus de l’oubli de ceux qui sont tombés et de nos émotions d’alors.
***
Il ne faut pas faire confiance à ceux qui ont peur de la solitude, car ils n’ont jamais été vraiment seuls. Ils prennent des expédients pour pallier le vide de leur imagination, des hommes, des femmes, de l’alcool. Ils ne savent pas qu’on ne comble pas sa solitude. Elle n’a pas de fond. Il ne sert à rien de la fuir. La solitude est une maîtresse qui nécessite qu’on lui soit indidèle.
Ca me rappelle une phrase Christian Bobin que, pour être fidèle, j’ai mis 5 minutes à retrouver dans un vieux carnet : Aimer, c’est prendre soin de la solitude de l’autre sans jamais prétendre la combler, ni même la connaître.