Archive pour la catégorie 'Quote'

Le fanatisme n’est pas nécessairement religieux

Dimanche 29 juin 2008

La république et canton de Genève est un superbe petit territoire situé au bord d’un lac dont les eaux sont alimentés par le Rhône et, de plus loin, par les glaciers des Alpes valaisannes. Fondée en 1536, elle compte environ 400 000 habitants, relevant de cent quatre-vingt-quatre nationalités différentes. Son territoire national est d’à peine 247 kilomètres carrés. J’y vis, et y fais souvent des rencontres agréables. Mais il y a peu, j’en ai fait une franchement inquiétante.

Nous sommes le vendredi 7 mai 2004, en fin d’après-midi. Directeur du bureau de liaison entre l’ONU et l’UNESCO, Georges Malempré fête son départ à la retraite au rez-de-chaussée de la villa Moynier. Fleurs, discours, chaleur humaine…

Derrière les hautes portes-fenêtres, la bise agite les vagues noires du Léman. Malempré est un homme profondément sympathique et courageux : durant quarante ans, il s’est totalement dévoué à la promotion scolaire des enfants dans les pays les plus pauvres. Une foule d’amis est venue d’un peu partout dans le monde honorer Georges, son épouse, ses filles. L’ancien directeur général de l’UNESCO, Federico Mayor, plus vivant que jamais, fait un discours tout en finesse. L’ambassadeur de Belgique Michel Adam et sa femme sont présents eux-aussi.

Un peu à l’écart de la foule, j’aperçois un homme élégant, jeune, svelte, au regard vaguement amusé. Visiblement, il ne connaît pas les us et coutumes des tribus genevoises. Je m’approche de lui.

L’homme est français, dans la quarantaine. Il vient de débarquer de Washington il y a quelques jours. Par sa façon de parler, de s’habiller, de se mouvoir en société, il a tout du grand technocrate. Son mandat : la représentation des intérêts du FMI auprès des organisations internationales à Genève.

Il m’avertit d’emblée : “En fait, je ne m’intéresse qu’à l’OMC [Organisation Mondiale du Commerce].” La lutte contre les épidémies menées par l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé] ? Contre la faim par le PAM [Programme Alimentaire Mondial] ? Le combat de l’OIT [Organisation Internationale du Travail] et de son directeur, Juan Sommavia, pour imposer des conditions de travail décentes ? L’OIM [Organisation Internationale pour les Migrations] luttant pour le bien-être des migrants ? Le Haut-Commissariat des droits de l’homme combattant la torture ? Le destin des réfugiés défendus par le Haut-Commissariat des réfugiés ?

Pas grand intérêt, manifestement. Ce qui compte avant tout, aux yeux de l’élégant mercenaire, c’est la privatisation des biens publics, c’est la libéralisation des marchés, la libre circulation des capitaux, des marchandises et des brevets issus des sociétés transcontinentales dans le cadre de l’OMC.

Intelligent, compétant, brillant dans ses analyses, C. - le petit vin blanc genevois aidant - perd peu à peu de sa retenue washingtonienne. Il a entendu parler de moi, peut-être même a-t-il survolé l’un ou l’autre de mes livres. Nous nous découvrons un ami commun au bunker de béton du numéro 18181 H Street, Nothwest, à Washington.

Tout à coup il s’arrête, me regarde sans sympathie. Il lève ses mains vers le plafond. Ses yeux bruns expriment le reproche. Il me dit à peu près : “Voyez-vous… ce que vous faites ce n’est pas bien… Tous ces jeunes gens, ces jeunes filles qui vous écoutent, sont pleins d’enthousiasme. Ils voudraient pouvoir changer le monde… Je les comprends… Mais c’est dangereux… surtout quand ils tombent entre les mains de gens qui ignorent tout de l’économie mondiale et de ses contraintes… Ils vous croient… et après ?”

Je lui fais quelques objections aimables.

Il se tourne alors vers les portes-fenêtres ouvertes et le lac. Dans la lumière déclinante du soir et l’odeur des feuilles mouillées, il ajoute : “Les lois du marché sont incontournables, immuables. Rien… rien ne sert de rêver.”

L’homme était d’une totale bonne foi. Moi j’étais horrifié par son assurance. Et surtout, par le pouvoir aveugle et sourd qu’il exerce, au sein d’une équipe, certes, sur la vie de centaines de millions d’hommes, d’enfants et de femmes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud.

Le FMI n’administre pas seulement la dette, au moyen de lettres d’intention, de plans d’ajustement structurel, de refinancement, de moratoires et de restructurations financières. Il est aussi le garant des profits des spéculateurs étrangers. Comment procède-t-il ?

Prenons l’exemple de la Thaïlande. En juillet 1997, les spéculateurs étrangers attaquèrent la monnaie nationale, le baht, dans l’espoir de faire des profits rapides et considérables sur une monnaie faible. La Banque centrale de Bangkok préleva alors des centaines de millions de dollars sur ses réserves, et acheta des bahts sur le marché. Elle tentait de sauver sa monnaie.

Peine perdue. Après trois semaines de lutte, exsangue, la Banque centrale jeta l’éponge et fit appel au FMI. Celui-ci imposa de nouveaux emprunts au gouvernement. Mais avec ces nouveaux crédits, Bangkok devait, en priorité, rembourser les spéculateurs privés. C’est ainsi qu’aucun des spéculateurs étrangers (requins de l’immobilier ou boursicoteurs) n’a perdu le moindre centime en Thaïlande.

Le FMI contraignit en même temps le gouvernement à fermer des centaines d’hôpitaux et d’écoles, à réduire ses dépenses publiques, à suspendre la réfection des routes et à révoquer les crédits que les banques publiques avaient concédés aux entrepreneurs thaïlandais.

Le résultat ? En l’espace de deux mois, des centaines de milliers de thaïlandais et de travailleurs immigrés perdirent leur emploi. Des milliers d’usines fermèrent.

La nuit tombe sur le parc Mon-Repos. Les derniers cygnes rejoignent majestueusement la rive. Mon mercenaire est imperturbable : “Retournez aujourd’hui en Thaïlande… l’économie y est florissante !”

Et les souffrances, et les angoisses endurées durant neuf ans par des centaines de milliers d’êtres humains ?

C. ne répond pas. Je peux toutefois formuler à sa place la réponse qu’il a sans doute sur la langue : “L’angoisse humaine n’est pas quantifiable, elle n’est pas un élément de l’analyse macroéconomique. N’étant pas mesurable, elle n’existe pas pour le FMI.”

Je traverse à pied le parc plongé dans la nuit jusqu’à la route de Lausanne, persuadé que la bataille sera longue, contre un ennemi plus puissant que jamais. Des centaines de millions d’êtres humains sont promis à des humiliations - mais aussi à des résistances - de longue durée.

Et qu’on ne me dise pas que l’annulation de la dette est impossible parce qu’elle mettrait en danger de mort le système bancaire mondial tout entier ! Chaque fois qu’un pays écrasé par sa dette tombe (passagèrement) dans le trou de l’insolvabilité (comme l’Argentine en 2002), le Wall Street Journal et le Financial Times nous annoncent l’apocalypse… si le système qui a conduit à la catastrophe est remis en cause. Ces manifestations sont-elles imputables à la fragilité psychologique des journalistes ?

Evidemment non. Ils obéissent à une stratégie habile. Les téléspectateurs européens, aussi passifs soient-ils, constatent quotidiennement les effets des ravages infligés par la dette. Ils sont révoltés, inquiets. Ils posent des questions. Quant aux hommes, aux femmes et aux enfants du tiers-monde, ils souffrent dans leur chair des effets du système. Il faut donc “légitimer” la dette. Comment s’y prendre ? La rendre “inéluctable”… D’où l’argument des mercenaires du capital prédateur, répété à la façon des perroquets : “Quiconque touche la dette met en danger de mort l’économie du monde.”

(l’analyse de cette prétendue inéluctabilité vient ensuite)

L’empire de la honte, Jean Ziegler

Je suis curieux de savoir si cet ouvrage figure dans les programmes scolaires.

A défaut et pour ceux qui ne sont plus à l’école, il existe en poche…

Absolument !

Jeudi 26 juin 2008

François Fillon a affirmé : “Depuis un an, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, la France est en train d’accomplir une mutation culturelle (…) Nous sortons du relativisme culturel et moral que la gauche française des années 1980 avait diffusé dans le pays.”

C’est quoi le contraire du relativisme ? L’absolutisme ?

C’est ça

Dimanche 15 juin 2008

En début de soirée, je la raccompagne chez elle. Tout au long de ce trajet à pied à travers Romanze, j’essaye d’enregistrer calmement le maximum de détails possible, sachant d’ores et déjà que, plus tard, lorsque tout ça sera réduit à un puissant souvenir de mes sens, à de la pure nostalgie, je m’en voudrai de ne pas y avoir goûté plus consciemment sur le moment. Mais c’est impossible d’y goûter consciemment, au bonheur. Sous ses dehors banal, avec ses parasites et ses imperfections, sans le filtre enjoliveur du souvenir, la réalité te prend toujours de vitesse. Sur le moment, c’est mathématique, tu peux juste vaguement ressentir qu’il se passe quelque chose de bien, mais tu es trop occupé à le vivre dans son temps même pour y goûter vraiment. Parce que tu as remarqué que le bonheur, c’est toujours un souvenir, jamais le moment présent, hein ? Je me souviens avoir lu chez je ne sais plus qui : “le bonheur, c’est quand la lumière est bonne et qu’on n’a pas forcément conscience que tout va bien.” C’est ça, le temps perdu, le temps tout court, l’impossible équation du temps qui passe et qu’on voudrait retenir. Je suis persuadé que ce doit être aussi pour cette raison que l’être humain cherche à se mettre en couple : pour faire durer au maximum les moments de bonheur sans avoir constamment à les rechercher dans son passé, pour essayer de figer un peu les choses avec la femme qui un jour nous a fait rêver, malgré le temps qui dégrise. Parce que le bonheur, c’est une femme, non ? Tu ne crois pas, toi ? ” Heureux comme avec une femme”, dit Rimbaud. Remarque, c’est “Sensation” qu’il s’appelle, son poème. C’est dire la part d’autopersuasion qu’il faut pour identifier le bonheur à une femme. Parce que en fait, une femme, ce n’est pas le bonheur, c’est simplement la suggestion d’un bonheur absolu possible. C’est un vecteur du bonheur, un intermédiaire qui, tout en incarnant le bonheur au tout début, engendre un désir supplémentaire sitôt conquise. Attends, je vais être plus clair : le bonheur, pour moi, s’il fallait chercher à l’identifier, à le saisir sur le vif, c’est l’émotion absolue que je ressens lorsque j’écoute certaines chansons ou que le ciel a une couleur qui me plaît tout particulièrement. A chaque fois que je ressens la nécessité de partager de tels moments pour mieux les matérialiser, c’est la pensée d’une femme idéale qui me vient à l’esprit. A chaque fois, je me dis qu’une inconnue quelque part, susceptible de ressentir ou de comprendre la même sensation que moi au même moment, incarne ce bonheur. Mais je crois que le bonheur est comme cette femme, comme cette sensation : il est immatériel, il n’existe pas. Le bonheur, l’avenir, est une parfaite et perpétuelle inconnue, dans tous les sens du terme. T’es seul au monde de toute façon, et seul avec tes rêves. Mais si tu as la chance de rencontrer une femme qui, même si elle n’y est pour rien, t’a fait rêver et penser au bonheur pendant quelques temps, c’est déjà énorme.

J’étais derrière toi, Nicolas Fargues

Question

Dimanche 8 juin 2008

Qu’est-ce qui te fait le plus kiffer dans une journée ? A part rentrer chez toi !

La découverte

Dimanche 8 juin 2008

Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.

Marcel Proust

On doute

Mercredi 28 mai 2008

- On marche au bras d’une femme qu’on aime et puis, soudain, on aperçoit une autre femme au bras d’un homme. On se dit qu’on pourrait tomber amoureux de cette femme-là et on se voit marcher près d’elle, son bras accroché au vôtre. Alors on serre le bras de celle qu’on aime avec un frisson, on doute et on pleure au-dedans. Même si cela ne se voit pas, la femme qu’on aime le sait, elle devine tout et demande : qu’est-ce que tu as ? Rien, je t’aime. Elle sourit, elle est heureuse. L’important est que vous ayez dit “je t’aime” en pressant son bras et en la regardant. Mentir, c’est falsifier la vie, mais que fait-elle de nous, cette salope ?

Les dames de nage, Bernard Giraudeau

Nul n’est censé ignorer la loi…

Mercredi 27 février 2008

… mais celles-ci, on peut les oublier.

La loi n°2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit a, en effet, abrogé, notamment :

- Le décret du 2 novembre 1877 relatif aux poursuites à exercer contre tout Français qui se sera rendu coupable en Belgique de délits et de contraventions en matière forestière, rurale et de pêche ;
- La loi du 11 juillet 1906 relative à la protection des conserves de sardines, de légumes et de prunes contre la fraude étrangère ;
- La loi du 9 août 1930 concernant les tromperies sur l’origine des noix ;
- La loi du 4 juillet 1931 relative au commerce de la chicorée ;
- Les lois des 21 juillet 1932 et 30 juin 1935tendant à compléter l’article 1er de la loi du 4 mars 1928 sur les sirops et liqueurs de cassis ;
- La loi du 28 janvier 1935 tendant à la répression des fraudes sur le guignolet ;
- Les décret-lois du 30 octobre 1935 et 25 août 1937 ainsi que les lois des 14 novembre 1936, 30 mars 1938 et 18 mars 1939 portant réglementation de la vente par camions-bazars ;
- La loi du 6 décembre 1928 relative à la réglementation de l’abattage du châtaignier.

La chanson du dimanche

Dimanche 10 février 2008

Chaque dimanche (enfin, certains dimanches), une chanson ou un morceau de musique qui appartient à une ou plusieurs de ces trois catégories :

qui me fait frissonner : discrètement mais immanquablement, parfois depuis plusieurs années.

qui m’(a) obsède(é) : ça ne dure toujours qu’une période, relativement courte, de quelques heures à quelques semaines, qui, parfois, peut se renouveler.

qui me rappelle… : quelques minutes de musique associées à quelques minutes ou plus de vie passée.

On my shoulders, The dø
extrait de A mouthful / 2008

Je crois que j’ai racheté et relu Clair de femme de Romain Gary.

Je relis très rarement un livre. En général parce que je ne me souviens pas l’avoir déjà lu.

Je connaissais l’histoire de toutes façons car j’avais vu le film de Costa-Gavras avec Romy Schneider et Yves Montand.

Ce passage a particulièrement retenu mon attention, cette fois :

- Je veux savoir pourquoi on n’a pas de problèmes de couples, bon sang !
- Il y a des mauvaises rencontres, c’est tout. A moi aussi, ça m’est arrivé. A toi aussi. Comment veux-tu distinguer le faux du vrai, quand on crève de solitude ? On rencontre un type, on essaie de le rendre intéressant, on l’invente complètement, on l’habille de qualités des pieds à la tête, on ferme les yeux pour mieux le voir, il essaie de donner le change, vous aussi, s’il est beau et con on le trouve intelligent, s’il vous trouve conne, il se sent intelligent, s’il remarque que vous avez les seins qui tombent, il vous trouve de la personnalité, si vous commencez à sentir que c’est un plouc, vous vous dites qu’il faut l’aider, s’il est inculte, vous en avez assez pour deux, s’il veut faire ça tout le temps, vous vous dites qu’il vous aime, s’il n’est pas très porté là-dessus, vous vous dites que ce n’est pas ça qui compte, s’il est radin, c’est parce qu’il a eu une enfance pauvre, s’il est mufle, vous vous dites qu’il est nature, et vous continuez ainsi à faire des pieds et des mains pour nier l’évidence, alors que ça crève les yeux et c’est ce qu’on appelle les problèmes du couple,
le problème du couple, quand il n’est plus possible de s’inventer, l’un l’autre, et alors, c’est le chagrin, la rancune, la haine, les débris que l’on essaie de faire tenir ensemble à cause des enfants ou tout simplement parce qu’on préfère encore être dans la merde que de se retrouver seule. Voilà. Dors. Bon, maintenant, je me suis fait tellement peur que je ne vais pas pouvoir dormir. Allume un peu, que je te regarde pour me rassurer. Ouf. C’est bien toi.

Je me suis alors souvenu que l’on devait cette phrase à Romain Gary :

Sans imagination, l’amour n’a aucune chance.

J’ai également relevé ce deuxième passage :

Aimer est la seule richesse qui croît avec la prodigalité. Plus on donne et plus il vous reste.

Sinon, ce week-end, au cours de mes pérégrinations, j’ai lu sur une palissade :

L’utopie ce n’est pas l’irréalisable, c’est l’irréalisé.

A méditer

Lundi 10 décembre 2007

Saurions-nous que l’amour existe, s’il ne nous était montré sur les écrans ?

Singe savant tabassé par deux clowns, Courir sous l’orage, Georges-Olivier Châteaureynaud

Les plaisirs simples

Dimanche 9 décembre 2007

Dans Première, Benoît Poelvoorde que j’aime bien (enfin pour ce que j’en sais, ce que j’en vois surtout, à l’écran, parce que nous ne nous connaissons pas, bien entendu) évoque sa mère. J’adore.

En belgique, le bus est gratuit pour les retraités. Ma mère connaît par coeur tous les horaires des bus de toutes les régions. Elle monte dedans, prend n’importe quelle direction, visite les villes, les églises, discute avec des dizaines de personnes et rentre le soir à 18heures. […] Comme elle adore les escalators, elle se rend à la gare de Bruxelles, fait trois tours d’escalator, mange une glace et puis s’en va.