C’est ça

En début de soirée, je la raccompagne chez elle. Tout au long de ce trajet à pied à travers Romanze, j’essaye d’enregistrer calmement le maximum de détails possible, sachant d’ores et déjà que, plus tard, lorsque tout ça sera réduit à un puissant souvenir de mes sens, à de la pure nostalgie, je m’en voudrai de ne pas y avoir goûté plus consciemment sur le moment. Mais c’est impossible d’y goûter consciemment, au bonheur. Sous ses dehors banal, avec ses parasites et ses imperfections, sans le filtre enjoliveur du souvenir, la réalité te prend toujours de vitesse. Sur le moment, c’est mathématique, tu peux juste vaguement ressentir qu’il se passe quelque chose de bien, mais tu es trop occupé à le vivre dans son temps même pour y goûter vraiment. Parce que tu as remarqué que le bonheur, c’est toujours un souvenir, jamais le moment présent, hein ? Je me souviens avoir lu chez je ne sais plus qui : “le bonheur, c’est quand la lumière est bonne et qu’on n’a pas forcément conscience que tout va bien.” C’est ça, le temps perdu, le temps tout court, l’impossible équation du temps qui passe et qu’on voudrait retenir. Je suis persuadé que ce doit être aussi pour cette raison que l’être humain cherche à se mettre en couple : pour faire durer au maximum les moments de bonheur sans avoir constamment à les rechercher dans son passé, pour essayer de figer un peu les choses avec la femme qui un jour nous a fait rêver, malgré le temps qui dégrise. Parce que le bonheur, c’est une femme, non ? Tu ne crois pas, toi ? ” Heureux comme avec une femme”, dit Rimbaud. Remarque, c’est “Sensation” qu’il s’appelle, son poème. C’est dire la part d’autopersuasion qu’il faut pour identifier le bonheur à une femme. Parce que en fait, une femme, ce n’est pas le bonheur, c’est simplement la suggestion d’un bonheur absolu possible. C’est un vecteur du bonheur, un intermédiaire qui, tout en incarnant le bonheur au tout début, engendre un désir supplémentaire sitôt conquise. Attends, je vais être plus clair : le bonheur, pour moi, s’il fallait chercher à l’identifier, à le saisir sur le vif, c’est l’émotion absolue que je ressens lorsque j’écoute certaines chansons ou que le ciel a une couleur qui me plaît tout particulièrement. A chaque fois que je ressens la nécessité de partager de tels moments pour mieux les matérialiser, c’est la pensée d’une femme idéale qui me vient à l’esprit. A chaque fois, je me dis qu’une inconnue quelque part, susceptible de ressentir ou de comprendre la même sensation que moi au même moment, incarne ce bonheur. Mais je crois que le bonheur est comme cette femme, comme cette sensation : il est immatériel, il n’existe pas. Le bonheur, l’avenir, est une parfaite et perpétuelle inconnue, dans tous les sens du terme. T’es seul au monde de toute façon, et seul avec tes rêves. Mais si tu as la chance de rencontrer une femme qui, même si elle n’y est pour rien, t’a fait rêver et penser au bonheur pendant quelques temps, c’est déjà énorme.

J’étais derrière toi, Nicolas Fargues

Erreur de la base de données de WordPress : [Table 'xeteras.wp_comments' doesn't exist]
SELECT * FROM wp_comments WHERE comment_post_ID = '1338' AND comment_approved = '1' ORDER BY comment_date

Laisser un commentaire