Neil Gaiman nous conte l’histoire du Guide galactique et par la même occasion brosse un portrait de son auteur Douglas Adams qui disait : Toute ma vie, j’ai été attiré par l’idée d’être écrivain, mais comme tous les écrivains, je n’aime pas tant écrire qu’avoir écrit.
Un ouvrage prometteur quoiqu’il s’adresse plutôt à ceux qui ont déjà lu le Guide galactique et qui ont aimé.
Pour patienter ou pour vous faire une idée je retranscris ci-après le texte d’un sketch radiophonique intitulé Le briefing du kamikaze qui m’a beaucoup fait rire.
KAMIKAZE
COLONNE SONORE : LONGUE ET FURIEUSE
EXPLOSION DE FLAMENCO
VOIX : Japon, 1945.
LE FLAMENCO REPREND.
VOIX : J’ai dit : Japon !
LE FLAMENCO CONTINUE. ON VOIT VAGUEMENT LE NARRATEUR S’INFILTRER DANS L’ORCHESTRE ET ATTAQUER, PAR EXEMPLE, LE PIANO. DE LA MUSIQUE JAPONAISE DEMARRE COMME A REGRET ET S’INTERROMPT TRES VITE.
VOIX : Merci. Japon, 1945. La guerre touche à sa fin. La nation japonaise se trouve dans une situation désespérée… Je n’ai pas dit d’arrêter la musique. (IL RETOURNE AUPRES DE L’ORCHESTRE.) Bon, qu’est-ce qui va pas, les gars ? C’est un problème de fric ? (LE FLAMENCO REPREND.) Non, le Flamenco, ça n’ira pas. Comment ça, les accords sont plus simples ? Ecoutez, on vous a apporté tout un tas d’instruments japonais, là. Et si vous les essayiez, hein ? (BREVE TENTATIVE DE FLAMENCO SUR LES INSTRUMENTS JAPONAIS.) Bon, on en reparlera. (IL S’ADRESSE AUX PERSONNAGES, DESORMAIS EN SCENE.) Continuez, vous autres !
LE DECOR EST CONSTITUE D’UN BANC DANS UNE SALLE DE BRIEFING, BANC SUR LEQUEL EST ASSIS UN KAMIKAZE AVEC SON MATERIEL, SON BANDEAU SUR LE FRONT. PRES DE LUI, SONT ALIGNES DE NOMBREUX AUTRES BANDEAUX DE PILOTES QU’ON IMAGINE DECEDES. UN COMMANDANT SE LEVE POUR S’ADRESSER AUX SOLDATS “REUNIS”.
COMM : Bon, vous connaissez tous le but de votre mission. C’est une mission kamikaze. Votre devoir sacré est de détruire les vaisseaux de la flotte américaine dans le Pacifique. Cela signifiera votre mort à tous. Y compris vous.
PILOTE : Moi, mon commandant ?
COMM : Oui, vous. Vous êtes un kamikaze ?
PILOTE : Oui, mon commandant.
COMM : Qu’est-ce que vous êtes ?
PILOTE : Un kamikaze, mon commandant.
COMM : Bien. En tant que kamikaze, quelle est votre fonction ?
PILOTE : Sacrifier ma vie pour l’empereur, mon commandant.
COMM : A combien de missions avez-vous participé ?
PILOTE : Dix-neuf, mon commandant.
COMM : Oui, j’en ai ici les rapports. (IL LES FEUILLETTE L’UN APRES L’AUTRE.) Alors, voyons. Pas trouvé la cible. Pas trouvé la cible. Me suis perdu. Pas trouvé la cible. Ai oublié mon bandeau. Pas trouvé la cible. Pas trouvé la cible. Bandeau glissé sur les yeux. Pas trouvé la cible. Pris de migraine…
PILOTE : Bandeau trop serré, mon commandant.
COMM : Pris de vertige. Pas trouvé la cible et, pour toutes les autres… pas trouvé la cible. Bon, on dirait que vous n’avez pas beaucoup cherché, hein ?
PILOTE : Ah, si, si, si, mon commandant. J’ai bien cherché partout !
COMM : Ca ne devrait pas être si difficile que ça, si on considère que nous employons une unité de reconnaissance extrêmement sophistiquée, dont le travail est de vous indiquer l’emplacement des cibles.
PILOTE : Eh bien, ce n’est pas toujours très précis, mon commandant. Parfois, on vole pendant des heures sans voir le moindre porte-avions.
COMM : Où, exactement, avez-vous cherché ces porte-avions ?
PILOTE : Euh, eh bien, mon commandant…
COMM : (FEUILLETANT SES NOTES) Je remarque par exemple que vous avez plus ou moins dédaigné les zones maritimes. Moi, je les aurais estimées plutôt prometteuses.
PILOTE : Oui, mon commandant…
COMM : Plus que, disons, l’espace aérien de Tokyo. Et encore une chose…
PILOTE : Oui, mon commandant ?
COMM : Vous effacerez ces victoires homologuées.
PILOTE : C’est pas juste, mon commandant. J’ai souvent volé au-dessus de la mer. J’ai même attaqué un porte-avions, une fois.
COMM : En effet, j’ai ici les détails de votre “attaque”. Mission numéro dix-neuf. Voyons voir. Décollage à 5 heures. Ai rejoint la zone où se trouvait la cible : bon début.Cible repérée à 5 heures 20 minutes : parfait. Suis monté à une altitude de 6 000 pieds, me suis présenté à l’attaque, ai amorcé mon piqué, et ai parfaitement réussi à… atterir sur la cible.
PILOTE : J’avais envie de faire pipi, mon commandant. Je me suis laissé surprendre. Mais j’ai redécollé aussitôt, mon commandant. Et c’était moins une : un de nos gars s’est écrasé en plein dessus. Le pauvre ! Il n’a pas eu l’ombre d’une chance.
COMM : Pardon ?
PILOTE : Non, mon commandant, et ça m’a vraiment bouleversé, au point que j’ai eu envie de me les farcir pour de bon. J’allais me l’arracher, voler en rase-mottes, et le leur balancer par le hublot du mess - ça, ça leur aurait fait les pieds.
COMM : Vous alliez faire quoi ?
PILOTE : Me l’arracher et le leur balancer, splash ! en plein milieu de leur petit déjeuner. Là, ils auraient compris qu’on plaisantait pas, mon commandant.
COMM : Qu’est-ce que vous alliez vous arracher et leur balancer sur le petit déjeuner ?
PILOTE : L’estomac, mon commandant. Oh, là là ! J’aurais voulu voir leurs têtes au moment où cette grosse masse gluante se serait abattue en plein sur…
COMM : Attendez… attendez une seconde, que je comprenne bien. Vous vous prépariez à vous arracher…
PILOTE : L’estomac, oui, mon commandant. Kamikaze ! (IL ESQUISSE LE GESTE DE SE FAIRE HARA-KIRI.)
COMM : Vous alliez vous arracher l’estomac et le jeter à l’ennemi ?
PILOTE : Oui, mon commandant, en pleine poire.
COMM : Vous aviez une raison particulière de faire ça ?
PILOTE : Mourir pour l’empereur, mon commandant.
COMM : Mais ça aurait servi à quoi ?
PILOTE : A culpabiliser l’ennemi, mon commandant.