Archive pour mai 2003

Façons d’parler

Mardi 20 mai 2003

Au coeur du danger. Le danger aurait donc un coeur ? Il doit être bien fatigué ce coeur-là. Il n’a sans doute jamais battu que la chamade. Est-il fébrile, anxieux ? A-t-il perpétuellement le besoin d’être rassuré ? Ou bien au contraire est-il fier et vaillant, toujours avide d’action et de péripéties ? Le danger fait preuve d’une vitalité constante et d’une rare assurance. Le coeur du danger a du mérite, il est sans doute le plus grand qui ait jamais existé. Ce n’est pas forcément là qu’on aurait pensé à le chercher.

S’imprégner de la culture d’un pays. Vous avez noté comme souvent cela commence par la nourriture. On s’imprègne tantôt généreusement tantôt avec circonspection l’intérieur de la bouche puis le système digestif et bientôt tout le corps. Des aliments nouveaux peuvent avoir des effets inattendus. Il me semble qu’à plus ou moins long terme un changement d’alimentation peut avoir des effets physiologiques importants dont je veux croire qu’ils peuvent emporter à leur tour des effets d’ordre psychologiques. Il y a également les nourritures spirituelles biens sûr mais je pense que s’imprégner de la culture d’un pays est une démarche beaucoup plus physique et donc moins intellectuelle qu’on ne le pense parfois. Il me semble que l’on s’imprègne plus profondément d’une culture à l’aide de nourritures terrestres et de rites qu’en lisant des livres.

Avoir les yeux plus gros que le ventre. C’est résolumment avoir de sérieux problèmes d’équilibre avec un corps que surmonte une tête de cette taille et un centre de gravité en conséquence.

Nager dans le bonheur. C’est sans doute ce qui explique que l’homme ait du mal à trouver le bonheur et qu’il s’escrime sa vie durant à le trouver : il est un animal terrestre, son élément n’est pas l’eau, naturellement il ne nage pas.

Courir les jupons. Dès lors qu’on essaie on est confronté à cette question cruciale : qui porte encore des jupons ?

Rester de marbre. Ce n’est donné qu’aux statues et encore pas à toutes.

Mettre les petits plats dans les grands. C’est ce qui permet de distinguer celui qui range la vaisselle régulièrement de celui qui ne le fait jamais. Ce dernier fait l’inverse et c’est le bordel dans les placards.

Jouer au con. C’est extraordinaire de constater que même à ce jeu-là on rencontre des mauvais joueurs.

Rougir de plaisir. En fait c’était par élimination : bleu de froid, vert de rage, jaune ça fait un peu malade, violet ça fait un peu étouffé, orange ça fait carotte mais nous ne sommes pas des lapins… Rouge c’est sympa, ça réchauffe.

Dimanche 18 mai 2003

En ricochant sur la page d’Etolane depuis la page de IokanaaN je suis arrivé . J’ai été très ému par ce que j’ai lu.

Waiting for revolutions

Dimanche 18 mai 2003

Aujourd’hui je me suis levé à une heure indécente pour aller voir Matrix reloaded à la séance du matin au MK2 Bibliothèque. J’ai découvert à cette occasion qu’il y avait beaucoup de gens qui se levaient à l’aube le dimanche. N’ayant aucune qualité de critique cinématographique je vous épargne mon commentaire. Personnellement je n’ai pas été spécialement emballé. Je ne rentre pas dans les détails afin de ne rien vous dévoiler. Je vous invite seulement à rester jusqu’à la fin du générique (soyez (très) patients). Autrement j’ai bien aimé le cinéma. C’est joli, on est bien assis, avec de la place pour les jambes (bien que les miennes ne soient pas très longues, c’est appréciable). Toutefois l’Innovation fondamentale réside dans les fauteuils (on pourra en trouver d’autres mais aucune n’égale celle-ci) : les salles sont remplies de fauteuils doubles. Dire qu’il a fallu plus de cent ans pour inventer ça… Concrètement cela signifie que les sièges sont groupés par deux avec une assise et un dossier unique et que l’accoudoir est relevable. Il est donc enfin possible de se blottir/vautrer/coller/reposer/serrer/pelotonner/lover/presser (choissisez ce qui vous sied le mieux) l’un contre l’autre sans être meurtri par cette saloperie d’ cet accoudoir incommode. La prochaine fois il faut que j’y aille avec une douce voisine.

Vendredi 16 mai 2003

Si les filles avaient confiance en elles nous ne sortirions jamais du bac à sable.

3 grues à l’horizon

Jeudi 15 mai 2003

En ces temps de grève j’ai suspendu ma période de sevrage de walkman afin d’affronter plus sereinement les déplacements devenus difficiles en ville. Force est de constater que le walkman m’est ce que la tétine est au bébé. Je suis plus détendu avec mon casque sur les oreilles. Je baigne dans une atmosphère sonore choisie et donc agréable. Je fais abstraction autant que possible de ce qui m’entoure et j’avance doucement mais sûrement dans les rues encombrées.

Je n’écris plus grand chose. J’ai des idées mais je suis bloqué. Sitôt que j’essaye de raconter ce qui me semblait intéressant les mots m’échappent. Parfois c’est pire il m’en vient mais sous eux tout semble terne, fané, abîmé. J’ai l’impression d’avoir attrapé des papillons avec les doigts. A côté de ça quand je marche mes pensées s’enchaînent avec une certaine grâce parfois, d’autres fois j’augmente le volume du walkman.

Ce qui ne tue pas rend plus fort. J’ai de sérieux doutes à ce propos. J’ai l’impression que le plus souvent ce qui ne tue pas rend plus fragile. Des points de rupture se créent, on se découvre des zones plus sensibles, des circonstances identiques qui se répètent sont plus rapidement douloureuses. Lorsque l’on veut casser quelque chose on s’acharne en tapant au même endroit encore et encore jusqu’à ce qu’apparaisse la première fêlure et que la matière rompe enfin. Chaque corps a connu des traumatismes qui ont laissé des parties plus fragiles que d’autres. Pourquoi en irait-il autrement de l’âme/la psyché/l’esprit/etc (appelez ça comme vous voulez) ?

Quel paradoxe que celui de l’âme toujours sur un chemin mais parfois perdue quand même. Elle trace toujours un chemin mais dès qu’on ne reconnaît plus le paysage on est inquiet. Pourtant combien il est angoissant alors de reconnaître ses propres traces sur ce chemin. On en vient à regretter l’instant d’avant où l’on se croyait perdu. Qu’il est cruel de retrouver le chemin déjà foulé parce qu’alors on en est sûr : on tourne en rond, comme en cellule. Je ne changerai jamais de corps, mon enveloppe physique restera celle-ci, à quelques rides et quelques kilos près mais qu’en est-il de mon âme ? Changera-t-elle aussi peu elle aussi, du moins de manière aussi prévisible ? Dans quelle mesure peut-on évoluer ? De quelle manière ? A quelles conditions ? Qui suis-je ? C’est qui moi ? Jusqu’à quel degré d’évolution je demeure moi ? A partir de quand je ne suis plus moi ? Quand les autres ne me reconnaissent plus ? (Note : A ce sujet j’avais lu une nouvelle intéressante (enfin c’est toujours pareil hein, de mon point de vue) de Françoise Giroud intitulée Pour mémoire et qui se trouve dans le recueil Histoires (presque) vraies)

Je crois que nous sommes dramatiquement attachés à une multitude de croyances, d’habitudes, d’envies qui nous plombent la vie mais auxquelles nous nous cramponnons tant qu’elles ne sont pas insupportables car composant notre personnalité elles nous lient aux autres. Si je changeais trop je perdrais sans doute tout tout changerait : amis, travail, famille peut-être même (je suis tenté de mettre la famille à part tant du fait des liens biologiques que des liens éducatifs. Le rapport aux personnes qui nous ont éduqués, que s’y ajoute un lien biologique ou pas, me semble véritablement à part). Ce serait la plus parfaite logique. Je continue encore aujourd’hui à faire des choses (des petites choses, des petites détails) à propos desquelles je suis tiraillé entre l’agacement qu’elles provoquent chez moi et le lien duquel elles participent. J’ai la sensation que je perdrais un peu la personne en perdant tel geste ou telle habitude.

Réconfort

Jeudi 8 mai 2003

Y-a-t’il une sensation plus agréable et plus réconfortante que de se réchauffer ?

Vous avez froid. Vos mains sont gelées. Vous ressentez une inquiétude vague mais certaine, un écho du fond des âges, car vous sentez le froid vous gagner. Vous frissonnez. Le vent vous semble plus cinglant, chacune de ses morsures semble plus profonde. Vous vous engourdissez doucement. Même vos pensées s’engourdissent. Vous ressentez le froid en vous, dans votre poitrine qu’il ne devrait pas pouvoir atteindre. Le froid est maintenant une souffrance et accapare toute votre attention. Il faut que cela cesse. Il faut vous réchauffer. La chaleur est votre remède. Vous recherchez une source de chaleur, vite.

Le froid ne progresse plus. Vous vous êtes collé au radiateur, vous avez mis un pull, vous vous êtes approché de l’âtre ou bien vous vous êtes blotti contre un corps plus chaud que le vôtre. Durant quelques minutes la température se stabilise. Vous êtes sauvés. Vous vous abandonnez à la chaleur qui vous enveloppe doucement. Les yeux mi-clos vous sentez votre corps se désengourdir, se ranimer, resusciter presque. Il coule en vous une chaleur douce et apaisante. Vos veines se regonflent, votre peau s’assouplit, vos doigts se plient sans peine. Votre corps est à nouveau une source de plaisir et non plus de douleur. Vous êtes à l’abri, il ne peut rien vous arriver. Vous revivez.

Lorsque j’ai froid il m’arrive d’attendre un peu pour mettre mon pull. Pas longtemps, pas jusqu’à souffrir du froid mais suffisamment pour jouir au maximum de ce cocon de laine que je gonfle ensuite de ma chaleur et dans la douceur duquel je me blottis avec un plaisir rare.

3 grues à l’horizon

Jeudi 8 mai 2003

J’écoute beaucoup de musique. Depuis que je suis petit il y a toujours eu de la musique à la maison. Mon père adore la musique. Chez moi il y a toujours eu une source musicale dans chaque pièce. J’ai constaté en grandissant que dans beaucoup de maisons ce n’était pas le cas. J’ai d’abord trouvé cela étrange et puis j’ai dû me résigner : chez moi ce n’était pas comme chez la plupart des autres, pour la musique du moins. En grandissant le goût pour la musique toute la journée, voire toute la nuit, ne m’a pas quitté, bien au contraire. J’ai du mal à comprendre ma mère qui ne pense pas à allumer la radio. Vivre sans musique c’est une punition.

On parle d’air de musique, c’est plus vrai qu’on ne le pense.

Parfois je regarde mes disques sur les étagères et j’ai envie d’en écouter dix ou douze. Je les enchaîne les uns derrière les autres au fil des heures. C’est alors comme un long long voyage au cours duquel j’aurais vu moult paysages. Après une douzaine de disques j’ai vraiment l’impression d’avoir voyagé, comme au terme d’une histoire captivante.

C’est étrange comme d’autres fois j’ai l’envie compulsive d’écouter un CD ou un morceau. Je suis alors très frustré si je ne l’ai pas à ma disposition. Il m’en coûte un effort à la mesure de cette envie de m’en détourner si je ne peux vraiment pas l’assouvir. En revanche si j’ai ce précieux disque je peux l’écouter en boucle pendant des heures et durant ces quelques heures j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais m’en lasser, qu’il coule en moi comme en un puit sans fond et que mon désir de m’en emplir tout à fait ne sera jamais comblé. Il me semble alors que tel morceau est envoûtant comme aucun autre. C’est le terme, envoûtant. L’espace d’un instant, tout à la musique, au comble de l’extase, il semble que l’envie puisse être infinie. Invariablement, la seconde d’après, je me souviens que ce n’est pas vrai.

Je crois qu’on peut éprouver le même genre de sensations avec des personnes aussi.

Archéologie

Dimanche 4 mai 2003

L’écriture me semble présenter parfois certains traits communs avec l’archéologie. Que l’on écrive pour pratiquer une introspection analytique ou bien que l’on écrive des histoires pour distraire ceux qui les liront il s’agit d’extraire de soi, des mots en l’occurrence.

Il est des filons, des sites, qui sont riches. On sent que là on tient quelque chose. Seulement comme en archéologie, du moins pour en rester à l’image d’épinal, il ne suffit pas de le savoir. Ensuite il faut se mettre à fouiller, pour l’écriture développer me semble plus approprié. Dans un cas comme dans l’autre on dégage des éléments. Plus on avance, plus le travail doit être précis jusqu’à épousseter délicatement chaque fragment ou chaque mot. Je dois reconnaître que je suis d’un naturel assez paresseux. Je n’ai souvent pas le courage (ce qui, je sais, n’est pas qu’un problème de paresse) d’épousseter chaque pièce jusqu’au dernier grain de poussière. Seulement on ne peut pas plus dégager des vestiges qu’écrire à la pelleteuse. C’est nécessairement un effroyable gâchis. Il me semble que dès lors que l’on commence on doit aller au bout. Où peut-on décemment s’arrêter ?

Un remède à la mélancolie

Dimanche 4 mai 2003

Il est un remède efficace contre la mélancolie, c’est la marche ; en tous cas pour moi. Mais ce n’est pas le seul atout de la marche. En général mon esprit dérive agréablement quand je marche. Les idées me viennent et s’enchaînent avec une grâce très plaisante. Le problème est qu’il n’est vraiment pas pratique d’écrire en marchant (j’ai déjà essayé). Seulement quand je m’arrête pour prendre des notes mon joli cheminement de pensées se volatilise en quelques instants. Je me demande si finalement ce ne serait pas comme ces cailloux qui ont l’air si jolis dans le cours d’eau et qui sont si ternes et si décevants une fois qu’on les a sorti de l’eau et qu’ils ont séché. Défaire la mélancolie c’est accepter que les petits cailloux ne soient jolis qu’au fond de la rivière et que si l’on peut se les approprier on ne peut pas le faire de l’alchimie de l’eau et de la lumière dont ils tirent leur éclat.

Détournement

Dimanche 4 mai 2003

Il arrive parfois que le trajet du bus soit légèrement détourné pour des raisons diverses (travaux, manifestation, etc). Je suis toujours surpris de voir une pointe d’inquiètude quand ce n’est pas de panique dans le regard de certains voyageurs. Que le bus aille tout droit alors qu’il devait tourner à droite et certaines personnes lancent de grands regards inquiets en direction du virage raté, de l’itinéraire perdu. Certains murmurent déjà seul ou à plusieurs. C’est un nouveau qui ne connaît pas la ligne, il s’est trompé. Que se passe-t-il encore ? Et si nous ne retrouvions jamais l’itinéraire ? Il y a des gens qui semblent véritablement désemparés comme des enfants perdus dans des rues inconnues. Je les trouve touchants ceux-là, enfin tant que je les observe de loin ainsi. En revanche je n’aime pas du tout ceux qui s’inquiètent déjà de ce que leur arrêt ne sera peut-être pas desservi et qu’ils devront alors marcher. Ah, quelle horreur ! Marcher. Ceux-là ils ne sont pas perdus, ils ne sont qu’égoïstes.