Qui me cherche ?
Lundi est férié, il n’y a pas cours de rock. Je dîne chez Octave et Eléonore avec Clarisse et Oscar (finalement j’ai décidé de prénommer mon entourage, il me semble que c’est plus agréable à lire ; tant qu’à faire je me fais plaisir avec les prénoms). Nous jouons aux cartes. J’ai l’impression que Clarisse me regarde de travers toute la soirée. Ce n’est peut-être qu’une impression, j’ignore ce qui pourrait motiver cete attitude. On ne se voit jamais que par l’intermédiaire d’Eleonore dont elle est l’amie. Autant dire que c’est donc sans importance. Nous jouons aux cartes. Je perds. Quand j’étais petit je détestais perdre mais maintenant je m’en fous.
Mardi je vois mon cousin Stanislas. Il passe à la maison, nous dînons avec maman et Jacques, mon beau-père. Ensuite nous sortons boire un coup en ville. Il me parle, je le trouve beaucoup plus motivé que moi, plus doué aussi, dans sa partie. Ce n’est pourtant pas ce qu’il me dit. Je ne sais plus bien ce qui est vrai et ce qui est le fruit de mon angoisse. Parfois je me dis que j’égale aisément tel ou tel, d’autres fois que je me demande ce que je sais faire. Peut-être suis-je cyclothymique ?
Mercredi j’emmène mon parapluie. J’ai entendu à la radio qu’il allait pleuvoir. Je l’ai cru. J’ai traîné mon fameux (si, si !) parapluie vert toute la journée sans le laisser s’ouvrir une fois. C’est comme ça, on croit des choses et puis ce n’est pas vrai. Parfois on ne le réalise pas, d’autres fois si. L’important c’est de continuer à croire par la suite. Ce n’est pas toujours facile. Prenons mon cas personnel, par exemple. J’ai l’impression que ma capacité à croire s’est affaiblie, qu’avant elle était plus importante. Je me demande si c’est une forme de nostalgie (c’était mieux avant), s’il faut y voir un manque de confiance en soi (peut-être seulement conjoncturel) ou bien une évolution plus profonde…
Je déjeune avec Octave et Théophile. Ensuite, avec Théophile, nous allons au cinéma. Une femme de chambre me déçoit. C’est bien joué, Jean-Pierre Bacri, fidèle à lui-même (je ne peux pas croire qu’il soit différent dans la vie), fait la gueule, et Emilie Dequenne confirme une fois de plus combien elle est douée. Le problème est que de la part de Claude Berri c’est très léger. Il est possible que j’ai du mal à me retrouver dans les problèmes des hommes de cinquante ans mais j’ai le sentiment que Claude Berri ne fait plus que des films à propos de de sa situation. Il y a également certaines facilités comme le dernier plan qu’on regrette un peu de sa part.
Je dois passer la soirée avec Matthieu et Yvan (qui n’est pas en grande forme, ce qui s’est confirmé au fil de la discussion). Je suis en avance. Je fais un petit détour par Compagnie. Il fait déjà nuit. J’y rentre comme on gagne un abri. Je tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. Je succombe au charme discret des Fées, sorcières ou diablesses d’une (légère) anthologie Librio. Mon manteau est un peu ample, j’avance précautionneusement entre les tables. Au sous-sol je trouve le nouveau Fred Vargas que je prends pour ma mère, je le lirai aussi, et Une étoile m’a dit de Fredric Brown. Remonté je longe les rayons de littérature étrangère jusqu’aux livres de photos. Au détour du retour vers la caisse je découvre des éditions de poche des aventures de Charlie Brown. Je me présente pour payer en me fustigeant intérieurement pour ces dépenses déraisonnables et pour avoir craquer une fois de plus dans une librairie. Je ne peux pas passer ma vie à bouquiner, je dois tra-vail-ler et puis je sais que je ne devrais pas me retirer encore dans des livres et dans mon imagination. Je suis juste dans les temps pour rejoindre Matthieu. Nous avons donné rendez-vous à Yvan dans un bar afin d’attendre tranquillement au chaud. Il arrive une bonne heure plus tard et nous raconte ses problèmes (ce qui est exceptionnel de sa part, il parle encore moins que moi). Nous avons mangé, puis nous sommes allés dans un autre bar. La soirée s’est écoulée doucement. Yvan a une vie de famille classique, la plus classique de mon entourage, pour cette génération. Pourtant ça n’a pas l’air simple du tout. Qu’est-ce qui est le mieux ? Ma situation ne me satisfait pas mais c’est la mienne, je n’échangerais pas avec lui. Matthieu nous a ramené. C’est sympa, ça m’évite les transports en pleine nuit. En général l’attente est plus longue que le trajet à ces heures.
Jeudi j’ai rendez-vous avec Jérôme. Nous passons l’après midi ensemble. Je travaille plus ou moins avec lui sur un projet créatif, au sens large. Disons que c’est le début mais je crains que cela ne me fournisse pas un emploi stable. Or la vie est ainsi faite qu’il faut un salaire. J’aimerai bien vivre chez moi un jour. Le soir je dîne (encore… ça me rappelle une époque où je passais autant de temps sinon plus chez Octave que chez moi) chez Octave et Eléonore avec Nathan cette fois. Ils ont fait une fondue. C’est bon. Je raconte des bêtises. Une fois Eléonore m’a dit que je n’étais pas drôle. Je lui avais répondu que je faisais rire les gens, elle m’avait rétorqué qu’ils ne riaient pas avec moi mais de moi. Je ne sais pas dans quelle mesure elle était sérieuse, d’autant plus qu’elle n’est pas drôle ! C’est le résultat qui compte : ils rient. Ils rient de moi au moment où je dis des bêtises mais c’est comme un rôle. C’est exactement comme dans le travail. On remplit une fonction, il faut faire la part des choses, il faut faire abstraction. Je me demande si elle n’aurait pas du mal avec cette idée. Elle est plutôt terre à terre. Un exemple : elle préfèrais les playmobil, moi les legos. On ne peut rien construire avec les playmobil ! Je dis à Octave : La nature je la connais mieux que toi et tout le monde rit… de moi mais rit. Les gens sont cruels, ils rigolent de mes histoires quand j’étais petit. Je construisais des cabanes, je faisais des barrages sur les ruisseaux, de la luge dans les champs l’hiver… (mes grands-parents vivent à la campagne). Je m’en moque (moi aussi !), c’est à moi.
Vendredi je traîne d’une patte sur l’autre. Je petit-déjeune en regardant les deux derniers épisodes d’Ally Mc Beal. C’était à peu près la seule série que je suivais régulièrement, depuis plusieurs années. Je suis déprimé. Je me couche trop tard, je me lève trop tard, j’ai envie de dormir dans la journée alors que j’ai passé largement assez de temps au lit. L’inactivité m’est de plus en plus néfaste. Le soir je vais à une soirée rock avec ma soeur (que j’ai rebaptisée Calliope). Je suis content. Je ne me mine pas quand je vais aux cours ou aux soirées comme celles-là. C’est le seul domaine où j’ai l’impression de faire quelque chose et de progresser. Quand je pense que j’aurais pu ne jamais m’inscrire…
J’avais le sentiment que la période était plutôt sombre pour moi mais à voir tous ces gens j’ai le sentiment que c’est plus général.
Je réalise avec le temps qu’il m’est infiniment plus facile de travailler sur quelque chose d’existant même manifestement mauvais, à mon sens, qu’à partir de rien, en créant ex nihilo. C’est pour ça que, bien que je ne l’ai que rarement fait, je trouve plus dynamique le travail (notamment de création) à deux. J’obéis sans doute à un schéma de fonctionnement réactif. Plus concrètement je me suis aperçu qu’il valait mieux que j’écrive ce qui me passait par la tête quitte à le remanier plusieurs fois par la suite ou carrément à le jeter plutôt que de réfléchir encore et encore pour trouver la bonne formule ou bien développer la bonne idée. Ca me fait repenser à mon histoire d’orpailleurs et d’alchimistes.
En lisant l’introduction de Fées, sorcières ou diablesses je réalise que j’avais totalement oublié que les Moires sont l’équivalent grec des Parques romaines. Dans la mythologie antique les moires (ou les parques) étaient les divinités du destin. Elles étaient trois soeurs, Clotho (Nona), Lachésis (Decima) et Atropos (Morta), et présidaient respectivement à la naissance, la vie et la mort des humains. On les représente traditionnellement près d’un métier à tisser. Chaque fil est une vie, Clotho le tire de sa quenouille, Lachésis le tend et Atropos le coupe. Je découvre un nouveau sens au titre de cette page : Mes moires (mes reflets), mémoires, mes moires (ma vie). On dissertera à loisir sur l’émancipation de la création par rapport au créateur (quoique je ne sois pas le seul à avoir penser à ce titre mes moires).
J’ai peur de ne pas y arriver. Fondamentalement je crois que c’est ça. Je me demande d’où ça vient. Il n’y a sans doute pas une raison précise mais un ensemble d’éléments qui se conjuguent. Pourquoi y arriver aussi ? J’ai peur de ne pas accomplir ou de ne pas m’accomplir à moins que ce ne soit l’inverse. Je n’aime pas la fin. Je l’ai souvent écrit. Je n’aime pas que les choses se terminent. Cela veut dire qu’inconsciemment je pense que les choses en question sont heureuses. Je suis comme tout le monde, je ne veux pas souffrir, et le cas échéant je ne veux qu’une chose : que cela cesse. Je me souviens avoir entendu un enregistrement de Jean Giono dans lequel il disait qu’un homme qui souffre ne pense qu’à ça et n’a qu’une seule et unique envie : que cela cesse. Tout son être est concentré sur cette douleur. Sa douleur devient le pôle principal autour duquel toute chose s’organise et prend son sens. On ne peut pas avoir envie de mourir, c’est impossible. On meurt quand on n’a plus envie, en-vie. Si je souffre j’ai envie que cela cesse, que la douleur cesse, pas ma vie. Pour en revenir au début du paragraphe (car comme toujours je me disperse), je suis paresseux, ce qui n’arrange pas les choses. Au bout du compte je me demande d’ailleurs qui de la peur ou de la paresse sert à dissimuler l’autre. Pourtant parfois je relève la tête, je regarde autour de moi et je me dis que je ne suis pas plus con qu’une part non négligeable de la population (ce sont sans doute des crises d’orgueil ; avant j’en avais plus et je me sentais mieux) mais je me dis que ça ne se voit pas, que je ne suis pas suffisamment brillant pour cela (pour le coup cette notion de brillant, scolaire par excellence, prend tout son sens).
Léonard de Vinci a écrit : Qui ne doute pas acquiert peu. Soit. Toutefois j’aimerais bien douter un peu moins, quitte à acquérir un peu moins. Je crois que j’ai conservé des séquelles des études : je culpabilise de ne rien apprendre. Je suis sûr que c’est en partie pour ça que je lis autant. Alors j’apprends des choses qui ne servent à rien mais que je trouve sympa.