Je suis appuyé sur une barrière face aux grilles de l’entrée principale du Jardin du Luxembourg.
J’attends Etienne que je n’ai pas vu depuis plus de deux ans. Séverine aussi, que je n’ai pas vu depuis quelques jours et puis Calliope et Arthur.
J’attends et le temps passant je fais plusieurs constats.
Je crois que je n’ai jamais eu autant de rendez-vous qu’à cet endroit… Sans doute plus même qu’à la Fontaine Saint Michel quelques centaines de mètres plus bas qui est pourtant, à n’en pas douter, le haut lieu du rendez-vous parisien. Quoique rien ne vaille un rendez-vous aux halles à une époque où il n’y avait pas de gsm.
En dépit de la dégradation de ma chère ponctualité je n’arrive encore pas suffisamment en retard puisque je suis une fois de plus en train d’attendre les autres.
Il ne fait pas encore particulièrement froid pourtant je n’ai d’envies, de pensées et de souvenirs que de chaleur. Ca fait plusieurs jours que ça dure. Je suis peut-être malade. A moins que ce soit parce que j’ai les mains froides. Je n’ai que rarement les mains froides et je suis toujours un peu surpris que ça arrive, comme s’il s’agissait d’une erreur.
Ce n’est pas tant la chaleur d’ailleurs que le réchauffement qui m’occupe. La sensation de la chaleur qui irradie lentement le corps. Le transit entre le froid et le chaud. Les quelques minutes d’abandon à l’essence la plus primaire de notre vie d’animal au sang chaud.
Quand j’allais au lycée il y avait dans le bus un siège en particulier de sous lequel s’échappait un courant d’air chaud qui enveloppait mes pieds, remontait le long de mes jambes et détendait mon pantalon glacé.
La chaleur qui pénètre lentement mon corps transi, avec l’assurance du temps qui passe, depuis mes mains placées sous un filet d’eau chaude ou bien glissées dans les entrailles des énormes radiateurs en fonte de l’ancienne salle à manger.
La puissante chaleur qui s’écoule en une large flaque du poêle de la cuisine chez mes grands-parents où doux grâce auquel il existe chaud des écarts de température si grand entre la cuisine et les autres pièces.
Les lits tendus de draps frais où j’appréhende le temps d’un frisson de me glisser seul (mais cette nuit où elle s’était blottie contre moi comme jamais) avant de m’endormir sous la couette gonflée de ma propre chaleur.
Des heures durant je regardais les flammes entourer les bûches de leurs caresses morbides au sein de la cheminée de l’ancienne salle à manger.
La cheminée de mes grands-parents était flanquée d’un genre d’alcôve avec une banquette aussi dure que la chaleur qui y régnait était douce.
Dans la nuit noire j’avais regardé luire les dernières braises comme des lucioles perdues dans l’immense âtre de cette maison que nous avions loué en Normandie et dans lequel j’aurais presque pu dormir et qui semblait d’autant plus béant qu’il était plus large que la pièce n’était haute.
La douche de chaleur pure du soleil en début de course qui arrose les terrasses le long des matins d’été.
Et puis ce feu ranimé à plusieurs reprises au coeur de l’hiver et des bois comme un miracle.