9 grues à l’horizon
Jeudi 5 septembre 2002La jeune fille et la femme, dans l’épanouissement actuel qui est le leur, n’imiteront qu’un temps les bonnes et les mauvaises manières des hommes et n’adopteront qu’un temps leurs métiers. Une fois passées ces périodes transitoires incertaines, on constatera que pour les femmes ces multiples changements de déguisements (souvent ridicules) n’auront été qu’une étape pour purifier leur nature la plus authentique des influences de l’autre sexe qui la défiguraient. Les femmes, réceptacles durables d’une vie plus immédiate, plus féconde et plus confiante doivent bien, au fond, être devenues des êtres plus mûrs, des êtres humains plus humains que l’homme : lui, léger, jamais entraîné dans les profondeurs de la vie par le poids du fruit de ses entrailles, dans sa prétention et sa hâte sous-estime ce qu’il croit aimer. Cette humanité que la femme a portée à terme dans la douleur et l’humiliation se révélera le jour où, en modifiant sa situation extérieure, elle se sera dépouillée des conventions de sa seule féminité, et les hommes, qui aujourd’hui encore ne la voient pas venir, en resteront surpris et abattus. Un jour (à présent, particulièrement dans les pays nordiques, des signes indéniables en sont déjà la manifestation éclatante), un jour seront là la jeune fille et la femme dont le nom ne marquera plus seulement l’opposition au masculin, et aura une signification propre, qui n’évoquera ni complément ni frontière, simplement vie et existence : l’être humain dans sa féminité.
Ce progrès transformera l’expérience amoureuse, actuellement pleine d’errements (et ce pour commencer, en dépit de la volonté des hommes dépassés), il la modifiera de fond en comble et il en fera une relation d’une être humain avec un autre et non pas d’un homme avec une femme. Et cet amour plus humain (qui se réalisera avec infiniment plus d’égards et de délicatesse, de bonté et de lucidité dans les liens noués et dénoués) sera assez semblable à celui que nous préparons en luttant rudement, à cet amour où deux solitudes se protègent, se limitent et s’estiment.
Ceci m’a immédiatement fait penser à une phrase que j’aime beaucoup de Christian Bobin : Aimer, c’est prendre soin de la solitude de l’autre sans jamais prétendre la combler, ni même la connaître.
Au-delà de mon association d’idées, voici à mon sens un bel éloge des femmes. Il est d’autant plus beau qu’il a été écrit par un homme et, ce, en 1904. En effet il s’agit d’un extrait des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke.
Il m’apparaît extrêmement visionnaire. J’ai le sentiment que ce texte aurait pu être écrit récemment.