Hey Bulldog
Lundi 16 septembre 2002J’ai très mal dormi (ce qui signifie que je me suis réveillé plusieurs fois durant la nuit alors qu’en règle générale je dors d’une seule traite en ne me souvenant que rarement de mes rêves ; il paraît que les rêves dont on ne se souvient pas sont les rêves achevés, c’est donc plutôt bon signe, donc cette nuit c’était tout le contraire…) et je me suis levé très tôt (6 heures). J’ai planché pendant cinq heures ce matin. Je suis allé voir Etre et avoir qui m’a beaucoup plu. Je suis allé au Colombus café acheter un goûter (parce que je n’avais déjeuné) et je suis allé flâner au jardin du Luxembourg où me sont venus trois ou quate idées. Je rentre de mon cours de rock où j’ai réussi, cruelle ironie, à demander à S. ce qu’elle faisait dans la vie (timidité paralysante pathologique et contexte peu favorable à la discussion). Le mot récurrent du jour est je (une fois n’est pas coutume), je vous le confirme. Je ne ferai pas d’explication de texte, bon courage.
Syllogisme : [Au jardin du Luxembourg il y a un théâtre de marionnettes. Sur la façade il y a cette devise :] Les marionnettes amusent les enfants et les gens d’esprit.
[Je me dis :] Nos dirigeants sont tous des marionnettes.
Je vous laisse vous charger de la résultante/conclusion.
J’ai perdu au loto. Vous allez me dire : comme d’habitude. Non, non, non… A chaque fois on se dit que c’est trop injuste qu’on ait perdu. Seulement cette fois c’est beaucoup plus injuste. En effet, quand on envie celui qui a gagné (parce qu’au fond ça revient à ça) on aimerait être à sa place mais dans cette hypothèse cela le lèserait. Alors que cette fois personne n’a gagné ! Ce qui signifie que si ça avait été moi ça n’aurait lésé personne !!
Cercle très vicieux : j’aime pas les cons, ils me rendent haineux… et ils me le rendent bien.
Haro
sur les gens qui enseignent qu’il faut enfoncer les plus fragiles plutôt que de les soutenir et les défendre : c’est une charge que d’être fort chez les êtres humains
sur ces gens qui se veulent les chantres de la sélection naturelle mais qui n’en sont que les sbires, bien inutiles : comme si la sélection naturelle n’était pas suffisamment implacable et avait besoin d’agents qui ne font que se cacher dans l’ombre de leur prédateur
sur les gens qui jugent les hommes et non les actes : il y a des distinctions et des finesses qui devraient être enseignées à tous
sur les gens qui n’ont de cesse d’établir un classement : qu’ils se chargent d’arbitrer afin de ne pouvoir être partie
sur les gens qui vous méprisent pour des bottes, un manteau ou un chapeau : le nectar le plus précieux n’est qu’une flaque sans calice
sur les gens qui ne se trompent jamais par absence totale de foi : qui ne place pas ne peut perdre
sur moi qui tombe si souvent dans toutes ces ornières et qui ai des raisons mais pas d’excuses : sur cette Terre, il y a une chose affroyable, c’est que tout le monde a ses raisons - Jean Renoir, La règle du jeu.
Je crois que les bébés pleurent la nuit jusqu’à ce qu’ils aient des souvenirs pour se rassurer quand on éteint la lumière. Les souvenirs servent à se rassurer seul dans le noir ou la pénombre. De toutes façons tout le monde a peur du noir. A Paris ça fait des années qu’il n’a pas fait nuit. On ne dépense pas des millions de watts chaque nuit sans raison, Paris illuminé c’est très beau… mais quand même !
Quand j’étais petit j’avais très peur du noir (bizarrement, contre toute attente, ce n’est plus le cas). Je ne pouvais pas dormir dans le noir (de toutes façons j’ai toujours eu du mal à m’endormir, par contre une fois que je dors, je dors ! En fait je crois que je ne m’endors que lorsque je suis épuisé, ce qui n’est pas très raisonnable…) Pendant des années nous nous sommes endormis, ma soeur et moi (nous étions dans la même chambre), avec un spot de couleur (que nous changions régulièrement) allumé (que nos parents venaient éteindre après). Ce n’était pas tout. Très petit mes parents me racontaient des histoires ou mon père me chantait Le loup, la biche et le chevalier. Par la suite ça a continué. Nous avions un tourne disque avec ma soeur et tous les soirs nous nous endormions avec un disque. Nous écoutions des histoires (nous avions plein d’histoires de Walt Disney en 33 tours racontés par des acteurs : De Funès, Rochefort, Trintignant… mais aussi La guerre des étoiles par Dominique Paturel et Emilie Jolie). Nous les connaissions par coeur (en grandissant nous avons continué avec les dialogues de films). Je vous arrête tout de suite, je n’étais pas un frère modèle. Je ne voulais emmener ma soeur nulle part avec moi, nous nous battions (je l’ai même blessée), nous disputions, elle me narguait (et je n’ai compris le stratagème que… très tard), elle m’a mordu au sang lorsqu’elle était toute petite et que j’étais encore attentif et intrigué par cette petite chose (je ne m’en souviens pas mais notre mère nous rappelle fréquemment notre jeunesse), mais nous avons quand même réalisé quelques bêtises en duo (c’est mieux que tout seul).
Il arrive qu’à la faveur de rencontres, certaines personnes comprennent à cinquante ans seulement, voire au-delà, à quel point les mots d’”amitié”, de “confiance”, de “fraternité” paraissent vains et présomptueux - quasi vulgaires - en regard du lien qui les attache à l’Autre - à quelques autres. Il arrive aussi que des individus ne le comprennent jamais, et c’est pitié - entendons : une pitié véritable - que de les voir jusqu’à leur lit de mort se prêter encore à des codes, à des préséances, des repas à rendre, des cérémonies à régler, qui auront remplacé, dans la crainte irraisonnée, immense, de l’aventure des sentiments, les liaisons par nature dangereuses et magnifiques, les coups de fil à trois heures du matin, les débarquements impromptus, les cadeaux inouïs, les virées ailleurs, tout à coup, ensemble, et qui laissent au fond de la prunelle un éclat dont on ne se remettra jamais.
Eric Holder, Masculins singuliers.