Actuellement je lis, principalement dans les transports comme souvent, un ouvrage de Michel Tournier intitulé Célébrations.
J’y ai appris que la mise en boule des hérissons se nomme la volvation.
En rentrant ce soir j’y ai lu dans la partie intitulée Journal de voyage au Japon :
Mercredi 17 avril. Kyoto-Tokyo par le train.
Cohue dans le train parce que la grève a provoqué la suppression de certains départs. Nous restons debout jusqu’à Nagoya. Mais l’inconfort de la position est largement compensé par la proximité d’un couple de vieillards admirables. Lui sec et grand était très beau. Mais elle… Ce visage rayonnant de douceur, d’intelligence, de bonté, avec ce sourire sceptique d’une femme qui a tout vu, tout compris, tout pardonné. Vivre dans la lumière de ces yeux-là ! Boubat était à portée de la main. Il est assez fort pour réussir une photo dans cette lumière faible et la vibration du train le plus rapide du monde. Je n’ai pas pensé à la lui demander. Faut-il le regretter ? Comme souvent en pareil cas - je veux dire lorsque le hasard me place dans le rayonnement d’un être exceptionnel - je suis frappé de stupeur et je perds de vue ce que cette rencontre a de fragile, d’éphémère, d’aléatoire, et je ne fais rien pour en sauver quelque chose. Les deux vieillards ont disparu à jamais à l’arrêt de Nagoya.
Je ne l’ai pas terminé mais je sais que ce que je n’ai pas encore lu me plaira et me touchera autant que lignes que j’ai déjà parcourues.
Je retranscris ici l’introduction à laquelle je souscris et j’avoue mon désir d’essayer mais le désir…
A travers leur apparente disparité, ces quatre-vingt cinq texticules ont en commun une certaine vision du monde. C’est celle que revendiquait Théophile Gautier lorsqu’il déclarait : “Je suis un homme pour qui le monde extérieur existe.” Notons que l’auteur d’Emaux et Camées inaugure une famille de poètes résolument extravertis, primaires, solaires, spectaculaires, qui s’appellent Lconte de Lisle, Heredia, Mallarmé, Valéry, Saint-John Perse. Ici l’espace l’emporte sur le temps. L’oeil commande seul. Il compte plus que le coeur, et il n’a que faire des subtilités de la psychologie et des moiteurs de la vie intérieure. La beauté des êtres et des choses, leur bizarrerie, leur drôlerie, leur saveur justifient et récompensent une chasse heureuse et insatiable. La passion originelle fut la curiosité, puisque c’est elle qui fit cueillir le fruit de la Connaissance à Adam et Eve. Curiosité, c’est à dire appétit de découvrir, de voir, de savoir. Et aussi admiration.
Il n’est rien de tel que l’admiration. Exulter parce qu’on se sent dépasser par la grâce d’un musicien, l’élégance d’un animal, la grandeur d’un paysage, voire l’horreur grandiose d’un enfer, c’est ce qui donne un sens à la vie. Celui qui n’est pas capable d’admiration est un misérable. Aucune amitié n’est possible avec lui, car il n’y a d’amitié que dans le partage d’admirations communes. Nos limites, nos insuffisances, nos petitesses trouvent leur guérison dans l’irruption du sublime sous nos yeux. Comme l’a dit Ingmar Bergman, ma musique de Jean-Sébastien Bach nous console de notre impiété. On pourrait ajouter : notre futilité s’évanouit à la lecture de la Bible, notre grivoiserie se métamorphose en amour charnel à la vue des corps de la chapelle Sixtine, et les Cahiers de Paul Valéry transforment notre bêtise en lumineuse intelligence.
Ce petit livre célèbre donc la richesse inépuisable du monde. La démarche des quadrupèdes - amble ou diagonale ? -, la valeur fondamentale du genou, les secrets de la grève dévoilés par le jusant, les déambulations nocturnes des hérissons, la haine que les arbres se vouent les uns aux autres, et aussi ces personnages tutélaires, les Rois Mages, le Père Noël, saint Christophe, Saint Louis, et surtout ces hommes et ces femmes dévorés par les médias - Sacha Guitry, Lady Diana, Michael Jackson - , et enfin ces amis qui sont maintenant de l’autre côté du fleuve et qui m’invitent doucement à venir les rejoindre, voici ce dont il est question dans ces pages.