Tous les mardis je me dis que je ne vais pas sortir trop tard du bureau pour avoir le temps de rentrer tranquillement chez moi, de manger et de me changer avant que Calliope ne vienne ne me chercher pour que nous allions au rock (vous croyiez que j’avais arrêté ?).
La plupart des mardis, comme aujourd’hui, je sors plus tard, voire bien plus tard, que prévu et je dois me dépêcher.
Ce soir pour ajouter à la course habituelle Calliope m’annonce qu’elle est presque à sec et qu’il faut absolument que nous fassions le plein au risque de ne même pas aller jusqu’à l’école.
Ne le voyant pas arriver je me dis qu’elle est tombée en panne avant même de m’avoir rejoint. Elle arrive finalement et nous nous mettons en route, direction la station service la plus proche. Cette station service, qui doit se trouver tout au plus à un kilomètre de chez moi se situe dans une longue descente qui prend fin où commence une pente équivalente sur le versant d’en face. Nous n’avons pas encore atteint le carrefour pour nous engager dans cette rue. Il fait nuit, nous ne sommes pas en avance, et Calliope m’annonce que nous avons sans doute calculé un peu juste pour l’essence… Elle surtout ! Je lui intime l’ordre de rester en roues libres et de ne pas freiner. La rue sur laquelle nous nous trouvons descend jusqu’au carrefour. Elle double le bus (en roues libres, le moteur ne tourne plus, je vous le rappelle), se rabat devant lui, tourne à droite au feu et nous nous engageons dans la grande descente. Je lui suggère d’éteindre les warnings et de mettre son clignotant pour indiquer que nous entendons aller à la station service à gauche, ce qui est difficile à deviner avec les warnings. Je n’ai pas envie que nous nous emplâtrions le premier pilote de banlieue venu qui nous trouverait un peu lent et nous doublerait à un moment inopportun. Nous pénétrons dans la station service par la sortie, la seule issue qui s’offre à nous dans ces conditions. Nous sommes sauvés ! Il était moins une… Il fait bien sombre… La première pompe est hors-service. Pas grave. Celle d’à côté aussi. Calliope me dit : on va à laquelle ?. Je descends et je pousse la voiture vers une autre pompe… hors-service. Je manque de m’étaler. La voiture n’est pas très lourde mais le sol est très gras et mes chaussures glissent très bien dessus. Je me tourne vers la caisse. Il n’y a plus rien dans la boutique. Un type tout seul est immobile dans l’aquarium. Il me fait un grand signe des deux bras croisés : il n’y a plus rien, c’est fini. Déjà trois voitures qui sont arrivées et reparties.
Nous sommes tombés en panne d’essence aux portes d’une station service que j’ai toujours connue là aussi loin que je me souvienne mais qui vient justement de fermer ! Je refuse de croire à une quelconque malédiction et réfléchit activement, d’autant plus que l’heure tourne et que nous allons rater notre cours. Il ne reste plus une goutte d’essence nulle part, ni dans la voiture, ni dans les pompes. Impossible de démarrer. En face, dans la montée, quasi symétrique, il y a une autre station service. Nous pourrions y aller à pieds mais nous allons perdre du temps. Je pousse la voiture pour que nous sortions par l’entrée (logique puisque nous étions entrés par la sortie). Je fais arrêter Calliope un peu en retrait de la rue pour avoir de l’élan et je vais vérifier que la voie est libre. A mon signal Calliope relâche les freins et la voiture prend rapidement de l’élan pour aller faire la queue au feu, comme si de rien n’était et que son moteur ronronnait comme tous les autres. Je cours sur le trottoir pour la rattraper. Un homme m’arrête et me dit qu’il vaut mieux éteindre les feux si nous voulons redémarrer. Je lui explique que nous n’avons pas un problème de démarreur mais une panne d’essence. Il rigole et me tape sur l’épaule. J’aime la solidarité nocture banlieusarde. Le capot de sa propre voiture, garée sur le trottoir, est ouvert. Il m’indique que pour sa part il a une panne. Je jette un oeil au feu, toujours rouge. Je cours pour remonter en voiture. Calliope m’a ouvert la portière.
Une grande descente s’ouvre devant nous. Pourvu que nous ne devions pas freiner. Nous prenons de l’élan. Si le feu reste vert nous passons et nous remontons tout ce qu’on peut, s’il passe au rouge nous nous rangeons sur le côté et nous marchons jusqu’à la station service (cent mètre, deux cent maximum). Nous avons les yeux rivés sur le feu et ça fait longtemps que nous n’avons pas autant souhaité qu’il reste vert. J’ai l’impression d’être dans une caisse à roulette ou sur mon skate-board quand j’étais gamin (j’ai commencé et fini tôt le skate-board (notamment après le survol d’un escalier mais malheureusement pas avant l’atterissage ; rassurez-vous sur ce coup-là j’ai eu le cul bordé de nouilles, c’est ce qui a dû amortir ma chute d’ailleurs, beaucoup plus de peur que de mal)). Je me demande si nous allons y arriver, mais de toutes manières nous avons relâché les freins, Calliope surtout, et maintenant nous devons aller au bout, nous verrons bien où c’est. On ne va pas craquer à quelques mètres du bol de sangria… euh d’essence. Enfin bref.
Climax. Comme au ralenti, mais heureusement pas vraiment, nous passons le feu vert et entamons à pleine vitesse la remontée. J’insiste : surtout tu ne freines pas !. Les mètres défilent. Allons nous y arriver ? Nous n’allons tout de même pas échouer à quelques mètres de portée du tuyau.
Un petit coup de volant à droite et nous voilà dans l’autre station service. Je descends pour pousser la voiture sur les cinq derniers mètres. Je note que là aussi le sol est très glissant. Je m’écrie alors : je n’aurais jamais cru qu’on arriverait jusqu’ici sans essence !. Le type qui descend de la 306 à côté au même moment me regarde avec un drôle d’air.
Nous faisons le plein. Calliope m’indique que le caissier lui a dit que ça faisait trois semaines que l’autre station avait fermé. Il faudrait peut-être faire sortir le monsieur qu’ils ont oublié dedans. Nous repartons aussitôt vers notre destination première parce que j’adore qu’un plan se déroule sans accroc mais il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, surtout s’ils sont inflammables.
Nous sommes arrivés à l’heure pour le cours, garés devant la porte, royal.
En sortant je dis à Calliope : je crois qu’il y a un truc que tu n’as pas saisi dans le coup de la panne…