Samedi 27 juillet 2002
Blogger est fourbement parti en vacances semble-t-il…
Bon, j’ai à peu près réussi à le mettre en forme comme je voulais.
Je pars 15 jours en vacances. Je pourrais me consacrer à la partie qui m’intéresse le plus, c’est à dire le remplissage, en rentrant.
Espérons que l’air soit plus agréable là-bas…
“Ca bourdonne toujours ?” Rémi sursauta. Comme à son habitude, Marie s’était glissée près de lui sans bruit. C’était son jeu et elle y prenait un malin plaisir. Elle devait se douter de l’effet produit puisqu’elle apportait le mal et le remède, le frayeur d’une mauvaise surprise faite à un homme que sa sensibilité rendait réactif à la moindre modification de particule, et l’apaisement d’une main délicieusement caressante aussitôt déployée dans les cheveux de son mari.
“Tes zacoutrucs dans les oreilles, ça continue à te faire souffrir ? reprit-elle.
- Ah, ça… Par intermittence. Il ne faut pas y penser. Ne pas en parler. Ca repartira peut-être comme c’est venu, comme ça.
- Tout de même, tu devrais consulter. Plus prudent.”
Marie prit un yahourt aux fruits dans le réfrigérateur et s’assit en face de Rémi. Il l’observait, ses bras croisés s’employant avec peine à dissimuler le dossier, stoïque comme peut l’être un coupable dénué de culpabilité. Ils demeurèrent ainsi pendant de longues minutes dans le clair-obscur de la cuisine seulement éclairée par l’ombre portée du corridor, fascinés par la puissance muette de leurs regards.
“On est bizarres, non ? fit-il en esquissant un sourire maladroit. Un peu en retard pour le dîner, un peu en avance pour le petit déjeuner, ce qu’on fait là, à cette heure-ci, on n’en sait rien…”
Sans le quitter des yeux, Marie raclait avec la dernière énergie son pot de Sveltesse parfaitement vide. Mieux que personne, elle savait que Rémi ne supportait pas cet acharnement, lequel condensait en un seul geste sa haine de la manducation. Il l’aurait pardonné à d’anciens à d’anciens pauvres obsédés par le spectre du manque et du gâchis, pas à une femme élevée dans l’aisance. Elle poursuivait avec méthode son entreprise de nettoyage, faisant savoureusement claquer sa langue alors que la cuillère était immaculée.Sa perversité se traduisait jusque dans la lenteur avec laquelle elle accomplissait sa performance. Dans ces moments-là, Marie lui apparaissait comme un monstre, c’est à dire un prodige inquiétant, qu’il convenait d’apprivoiser pour n’être pas broyé par lui.
L’exercice menaçait de virer au curetage. Il durait tout de même depuis une dizaine d’années. Juste assez pour provoquer quelques petits meurtres sans importance. Il fallut que Rémi porte brusquement ses mains aux oreilles, les coups de cuillère contre les parois du pot, si identifiables par leur timbre mat, lui étant devenus insupportables par l’insondable violence qu’ils exprimaient. Alors seulement Marie consentit de se séparer de ce yaourt auquel leur conjugalité mal tempérée avait conféré le statut d’instrument du démon.
“Encore tes bourdonnements ? demanda-t’elle malicieusement sans attendre de réponse. Je vais te dire ce qu’on fait là : on lit un journal intime qui ne nous appartient pas. D’une carrièriste comme moi, que dis-je, d’une telle arriviste, on n’en attend pas moins. Mais d’un pur esprit comme le tien, cela surprend…”
L’excellence de sa forme sarcastique à une heure aussi avancée de la nuit témoignait des vertus toniques du lait caillé. Elle avait des guillemets pleins la bouche. Rémi se murait dans son silence à mesure que l’agressivité de Marie augmentait. Généralement, le combat cessait faute de combattants, le monologue épuisant ses charmes avant même de buter sur ses limites.
“Rémi, je te parle !
- Tu ne me parles pas, tu plaides.
- … Tout de même, quelle salope ! reprit-elle, songeuse.
- On dirait que tu l’envies.”
Marie ne voulait rien voir de ce qui pouvait la rapprocher de cette femme. Aveugle à tout ce qui n’en faisait pas une adversaire. Incapable de distinguer en elle-même l’identité de la fonction, elle passait à côté de l’essentiel d’une inconnue déchirée entre un désir de départ et un refus d’abandon. Elle en oubliait même que, dès le premier âge, tout être est écartelé entre deux loyautés.
“Cela doit être affreusement compliqué d’organiser sa vie autour d’un mensonge, dit-elle avec une pointe d’admiration. Toutes ces prudences, ces ruses, tant d’imagination déployée pour cacher l’inavouable. Je conçois que ça ait pu l’exciter au début, et même la stimuler. Mais, à la longue, quelle torture que cette discipline !
- La vraie torture, c’est d’aimer et d’être aimé en secret. De devoir taire ce bonheur partagé. De ne pouvoir le confier à personne. De s’interdire de s’en ouvrir à qui que ce soit . D’être une âme sans repos.
- Cela doit développer l’esprit de précaution, poursuivait Marie, toute à son idée. Terrible de se sentir toujours sur ses gardes, dans la rue, en voiture, au restaurant, au café, à l’hôtel, dans des studios de complaisance, tous ces lieux qu’elle évoque en détail comme si elle les avait mentalement photographiés à force de les scruter. Et pourquoi tous ces risques ?Même pas pour sauver la face, ni pour la sécurité, ni pour l’argent. Non, pour les enfants ! Leur équilibre. Enfin, c’est ce qu’elle prétend. Quelle lâcheté dans la trahison !
- Tu ne comprends rien, trancha Rémi. Ou plutôt, tu refuses de comprendre car j’ai du mal à t’imaginer aussi insensible à sa douleur.
- Sa douleur ! s’exclama-t-elle en levant les bras au ciel. Une mère de famille qui s’envoie en l’air avec son amant dans les toilettes d’un restaurant ! Non mais, écoutez-le !
- On n’est pas au tribunal, alors on se calme.
- Partir ou rester, il n’y a pas d’autre solution, reprit-elle un ton en dessous. Mais dans un cas comme dans l’autre, pas de demi-mesure. Pas d’arrangement. Il faut jouer franc jeu. Refuser de se laisser tenter. Se rendre indisponible. Le petit manège de la séduction, ça va bien cinq minutes. Cette fille est une salope. De ses vices elle a fait des moeurs. Elle veut le beurre, l’argent du beurre et le cul du crémier. Si je gagne, elle devra faire une croix sur l’argent. Elle pourra toujours se consoler avec le reste…
- Mais comment oses-tu émettre des doutes ! s’emporta Rémi. Rien n’est plus sincère car rien n’est plus secret qu’n journal. Ca impose le respect. C’est peut-être le seul moment où on ne triche plus. Dans ces pages, elle se met à nu. Tu ne les as lues qu’en y cherchant des preuves pour la confondre. Flagrant, toutes tes marques fluorescentes. On dirait que tu as dressé ton Stabilo à dénicher exclusivement ce qui pouvait enfoncer les gens dans la boue. Produire ce texte en justice tuerait son auteur. Mort juridique, mort sociale, mort matérielle…
- L’équation est pourtant simple, dit Marie en changeant de registre, adoptant son timbre de voix le plus tendre. L’homme qu’elle a dans sont lit n’est pas l’homme qu’elle a dans la peau. Elle n’avait qu’à choisir et agir en conséquence. L’accommodement permanent ou la rupture radicale.
- Je ne peux pas croire que tu sois à ce point étrangère au doute, fermée à l’inquiètude, répliqua-t-il. Tu n’as rien vu de son désarroi, de sa mélancolie, de sa solitude ? Cet homme qu’elle évoque par ses seules initiales lui a donné quelque chose d’indéfinissable, que nul ne lui avait jamais donné. Disons un supplément d’âme qui l’a révélée à elle-même. Regarde bien, par endroits l’écriture se brouille et s’épaissit. Le stylo n’y est pour rien. De l’encre diluée par les larmes. C’est pour ça que produire ces pages en justice est obscène.
- Si au moins j’étais sûre de gagner, mais je le suis de moins en moins… La femme de mon client ne sait pas que nous possédons cette pièce à charge. Alors, discrétion absolue, s’il te plaît. Cela dit, je te l’accorde, j’envie une telle liberté. Son audace, son plaisir, son bonheur. Même si ce sont des instant volés. Surtout.”
Rémi se leva, se servit un verre d’eau du robinet puis y vida le contenu d’un sachet de poudre, trouvé au fond d’une boîte de médicaments.
“Tu sais à quoi ressemble ton adversaire ? lui demanda-t-il.
- Tu veux dire : mon confrère de la partie adverse ?
- Sa cliente. Ton ennemie, si tu préfères…
- Connais pas. Pourquoi ?
- Tu n’as pas le souci des visages, reprit-il. Tu te comportes comme l’Administration, sauf que tu n’es pas l’Administration. On dirait que tu conjures le facteur humain de crainte d’avoir un accès de faiblesse.
- Parfois ça vaut mieux. Le droit, rien que le droit. Application de la loi. L’esprit du temps est avec nous puisqu’il est à la transparence. Alors pourquoi se scandaliser de cette divulgation ? Toi est tes combats d’arrière-garde !”
Le regard étrangement fixe, perdu dans le vague, Rémi se surprit à murmurer :
“Tyrannie de la limpidité, sentiment du désastre… Incroyable, cette vision du monde, comme s’il n’était de réalité que visible…
- Tu délires…
- Et toi, reprit-il, tu ne me feras pas croire que tu t’es spécialisée par hasard dans le divorce pour faute. Les rapports de force, les bras de fer, toute cette violence, c’est ce que tu aimes. Tu ne t’épanouis que dans les situations conflistuelles.
- Je te rappelle que…
- Je sais, je sais, nous vivons de ça, du moins nous en vivons aussi…
- Il n’y a pas que ça. On ne sort pas du droit sans droit. Le divorce sans juge est un leurre.”
Marie se leva énergiquement puis, intriguée par le ton de son mari, se pencha vers lui, posa sa main sur sa joue et, doucement :
“Huit jours que tu ne m’as pas touchée…”
Comme il ne lui opposait que son mutisme et qu’il n’esquissait pas le moindre geste en sa direction, elle revint à la charge, mais moins tendrement :
“Quelque chose en toi a changé. Je ne te retrouve plus. Tu es devenu sombre, ombrageux, irascible. Que se passe-t-il ?
- Si tu persistes à présenter ce journal comme pièce à conviction, et si tu gagnes, tu vas tuer le peu d’intimité dont on dispose encore dans une société de plus en plus surveillée. Un journal intime, c’est une conversation secrète avec un absent vouée à suspendre le temps, une lettre d’amour écrite avec la chair des mots, mais une lettre destinée à n’être jamais expédiée, alors on ne touche pas à ça publiquement, on n’y touche pas, jamais…”
Il replaça ses lunettes sur son nez, ouvrit à nouveau le dossier et s’absorba dans sa lecture tandis que Marie retournait se coucher. Il resta seul ainsi un long moment. Si elle savait, si seulement elle pouvait imaginer à quel point il admirait cette inconnue; il la tenait, elle et toutes celles qui avaient le courage de leur passion et l’audace de leur transgression, pour des aventurières dans l’acception la plus noble du terme. Des femmes qui souvent prenaient le risque de tout perdre (l’aisance, la sécurité, les habitudes, les amitiés…) pour des baisers volés et l’ivresse d’un bonheur sans pareil. Elles hypothéquaient l’avenir pour vivre pleinement l’instant présent, et les certitudes pour l’inquiétude, tout ça pour ça.
La pendule de la bibliothèque indiquait minuit moins trois. Penché au balcon, Rémi chercha en vain une trace de lumière dans le ciel. Puis, tout en se tenant aux murs afin de ne réveiller personne, il retourna dans sa chambre s’allonger auprès de Marie dans l’espoir de trouver enfin le mot de passe d’une nuit à l’autre. Sans un échange, à quoi bon.
Un quart d’heure s’était écoulé quand il sentit les draps pris de tremblements. Couchée sur le ventre, les mains sous le sexe, les jambes rapprochées, Marie se caressait aussi discrètement que possible. De temps en temps, elle soulevait sa tête du traversin et la tournait légèrement vers la gauche pour s’assurer que Rémi dormait. Si elle avait été surprise, elle en aurait conçu une telle culpabilité qu’elle aurait aussitôt déployé son imagination afin d’effacer sa gêne. Faire de sa solitude un orgueil, et de son plaisir une honte, c’était bien elle. N’avait-elle pas toujours vécu sa sexualité comme un affruex ravissement ? Quelques instants après, il crut percevoir une secousse suivie d’un soupir, mais tant de bâillements voluptueux passent pour des orgasmes. Quand cette intense activité souterrraine reprit de plus belle après une courte trêve, il suffit à Rémi de se retourner en toussant pour la faire cesser définitivement. Sans être l’ordinaire de leurs rapports amoureux, un tel scénario n’en constituait ni l’exception ni la règle. Cela advenait régulièrement, voilà tout, et l’épisode restait confiné dans les zones du non-dit. Mais jamais elle n’aurait pu imaginer que, de son côté, il guettait la résurrection de sa verge. Renvoyés dos à dos jusqu’au lendemain, ils eurent tout le loisir de méditer chacun pour soi sur leur situation présente, cette forme de misère qui ne dit pas son nom.
A plusieurs reprises au coeur de la nuit, il se réveilla haletant, se tenant la gorge comme s’il avait manqué être asphyxié. A chaque fois, il allumait la veilleuse et guettait sur le visage de Marie un doute, ou une inquiétude. Car rien ne le troublait comme l’idée d’avoir parlé au cours de son sommeil, d’avoir prononcé le seul prénom auquel il aurait voulu s’interdire de penser. En cas d’opération chirurgicale, il exigerait de l’anesthésiste qu’il éloigne Marie de la chambre pendant toute la durée du réveil.
A l’aube, Rémi émergea en sursaut et en nage d’un cauchemar absurde. Après s’être porté au secours d’une femme qui s’enfonçait irrésistiblement dans des sables mouvants, il s’était retrouvé à son tour englouti tandis que la silhouette de l’inconnue s’éloignait sur la berge. Ses appels demeuraient sans effet. Insensible à ses cris, la forme poursuivait son chemin. Alors, il résolut de se sauver en prenant modèle sur l’héroïque Münchhausen, lequel s’était sortid’un marécage à la force des bras, en se tirant par les cheveux tout en serrant fortement son cheval entre ses genoux afin de ne pas l’abandonner à son destin. Mais plus Rémi se tirait de la sorte, plus la précipitation de ses gestes l’enfonçait.
Le réveil fut douloureux. L’incident lui fit renoncer pour un temps, mais pour un temps seulement, à sa chère utopie : s’extraire soi-même de l’intérieur pour s’intégrer à l’extérieur. Quitter enfin le cadre et faire sortir le monde de ses gonds.
Ce passage est extrait de Double vie de Pierre Assouline (Folio). Je le trouve très riche. Un noeud (et si on a lu Saint Exupéry on connaît l’importance des noeuds) épais dans lequel se mélangent une multitude de choses dont beaucoup m’interpellent. Le problème est que j’ai tout de même mis un bon moment à le taper… Maintenant j’ai envie d’aller dormir.
De toutes manières je reviendrai sur ces thèmes au fur et à mesure… je suppose. Parce qu’au fond on ressasse toujours les mêmes choses.
Je suis allé m’asseoir sur un banc au parc pour bouquiner. Il fait soleil. C’est simplement mais tellement agréable…
Pâques 1963
Demain je veux écrire un grand poème indélébile, à ta jouissance seule, miroir de sorcière où chacun reconnaisse l’autre au centre du soleil. Mais saurai-je ? Et comment en aurai-je loisir ?
Je veux t’écrire un grand poème indélébile… N’en doute pas, si je le dis si haut, résolumment, c’est que de vrai j’en désespère : Je sais toute parole un défaut du silence, comme une bulle dans la masse cristalline. Mais il entre de la volupté dans l’acte d’écrire, et c’est pourquoi je l’accomplirai… Assouvissement.
La voilà donc formulée sans que j’y aie pris garde, la justification que je cherchais, comme ne voulant pas m’abandonner sans résistance à mon désir. Créer pour le plaisir.
“Pour la jouissance seule”, et la mienne, initiale, que la tienne colore par avance, pondère et prolonge. Et je sens bien qu’il serait de pur artifice de chercher à présent d’autres “bonnes” raisons, des raisons “honorables”.
Il m’est égal de mourir toute. Et ce n’est pas tant pourme survivre que pour vivre que je veux écrire. J’écrirai comme on fait l’amour. Qu’une telle conception manque de générosité ? Il est vrai. N’en sois pas triste mon amour, je t’en prie, car si la vérité te faisait du mal, je serais tentée de l’omettre.
Non ce n’est (malheureusement) pas une lettre qu’on m’a écrite. Tout d’abord parce qu’à Pâques 1963 je n’étais même pas né, ensuite parce qu’on en reçoit pas tous les jours des comme celle-ci. Toutefois si c’est votre cas laissez moi vous le dire au cas vous en doutiez : profitez-en, on l’appelle couramment le bonheur.
C’est une lettre de Mireille Sorgue à son amant. Elle est reproduite dans son livre intitulé, justement, L’amant. Vous ne trouverez que deux autres ouvrages en plus de celui-ci écrits par Mireille Sorgue. Ce sont des recueils de correspondance. En effet elle est décédée très jeune. La lettre que j’ai reproduite ci-dessus vous donne un bon aperçu de la qualité et de la puissance de son écriture. Si ça vous tente d’en lire un peu plus c’est édité au livre de poche.