Les lumières de la ville
Je sors trop tard du bureau et j’en ai marre. Je n’ai pas trop envie de rentrer à la maison non plus…
Je décide de rentrer doucement. Je prends le bus pour faire une promenade.
Je regarde les lumières de Paris en écoutant un album que je ne connais pas bien.
Et je pense. Parfois je me dis que l’idéal serait que ça s’enregistre au fur et à mesure.
Mais pour quoi faire ? Pour qui ?
Même moi je n’aurais pas envie de le relire.
Je me demande pourquoi diable j’ai rêvé que je trouvais une toute petite souris et que, ne sachant pas quoi en faire, je la jetais vivante à la poubelle en me demandant ce qu’elle allait bien pouvoir devenir.
En ce moment je pense à une chanson en sortant de la maison le matin. Jamais la même et sans que je sache jamais ce qui m’y a fait pensé.
Ce matin je suis sorti avec She’s leaving home des Beatles.
Pourtant nous ne sommes même pas mercredi.
Elle a laissé une note elle aussi.
Une connaissance de ma grand-mère s’est suicidée cette semaine.
Un vieux paysan qui s’est abattu.
Je ne l’aurais pas imaginé de la part de ce vieux bonhomme placide qui avait toujours vécu seul.
Il a laissé un mot pour demander pardon.
Il me semble que c’est assez fréquent chez les gens qui mettent fin à leurs jours de demander pardon.
Ils seraient bien restés mais ils ne peuvent que demander pardon.
Pourquoi ?
Pour la vie ? Même si ce n’est qu’un tout petit peu de vie, c’en est belle et bien.
Ceux qui disposent de la vie des autres demandent-ils autant pardon ?
Pour le petit peu d’espoir ? Parce que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Peut-être qu’il n’y a plus d’espoir justement et qu’ils l’ont senti. Alors ils font le dernier pas plutôt que d’attendre d’être emportés.
C’est même pas toi qui est en avance, C’est déjà moi qui suis en retard chantait Jacques Brel.
Etymologiquement espérer signifie attendre. Ils ne peuvent plus attendre, ils n’ont plus rien à attendre sinon ce qu’on ne peut pas attendre.
On ne peut pas vivre en attendant la mort.
Je me souviens d’un passage d’une nouvelle de Jean-Paul Dubois…
Il y a encore un marque page dans l’exemplaire que j’attrape.
La nouvelle tirée du recueil Vous aurez de mes nouvelles est intitulée Mon histoire.
Elle contient ce paragraphe :
J’aurais aimé être architecte. Parce que j’aime les maisons. Généralement, elles ont une vie bien plus longue que celle des hommes. Je me suis souvent demandé si les bâtisseurs construisaient avec l’idée que leur travail était voué au délabrement et à la ruine. Je crois que non. On n’édifie pas avec la conscience du délabrement. On ne fait pas un enfant en se répétant que l’on met au monde un petit mort. Non, on doit agir dans une sorte de transe et d’inconscience temporelle. Dès que l’on perd cet état de grâce, dès que l’on acquiert la perception aiguë de ses limites, de sa dimension dans l’espace et les années, on ne peut plus agir. Ni pour, ni contre. On attend. On se fige, on ne bouge plus, comme une bête aux portes de l’abattoir. Pour bâtir, il faut croire. Jamais je n’aurais pu être architecte.
Ce passage continue de me déprimer lorsque je le relis.
Pourtant, en vacances, la fille d’Harry et Juliette m’a vraiment donné envie d’avoir des enfants pour la première fois.
Je n’ai jamais repoussé l’idée d’avoir des enfants. Au contraire, j’ai le sentiment que s’il y a bien une chose à faire dans la vie, c’est des enfants.
Toutefois, je n’en avais jamais vraiment ressenti l’envie de façon aussi spontanée, irréfléchie.
Il faudrait trouver une femme qui provoque la même sensation chez moi.
Passé trente ans, il y a les femmes à qui vous ne plaisez pas. Vous ne leur plaisez pas. Point. Comme avant mais, de surcroît, elles n’ont plus de temps à perdre et ne chercheront donc pas plus avant.
Celles à qui vous plaisez, sous réserve que ce soit réciproque, commencent à penser que si vous êtes seuls à votre âge, a fortiori sans ex-femme, sans enfants et même sans ex-concubine, c’est qu’il y a un problème.
Vous leur plaisez alors moins, soit qu’elles s’inquiètent suffisament l’hypothètique problème pour s’éloigner, soit qu’elles entreprenent de partir à sa recherche pour revenir déçue de ne rien avoir trouvé à la hauteur de leur attente.
Les traumatismes des autres sont souvent décevants. Il me semble que l’on devrait pourtant s’en réjouir.
Evidemment ma mère préfèrerait ne pas me voir seul.
Mais le problème c’est que moi aussi je préfèrerais ne pas me voir seul. Ce qui n’a pas toujours été vrai.
J’avais besoin d’être seul. Je crois que j’aurais toujours regretté de ne pas avoir vécu seul.
Seulement, ça a changé.
Je conserve une nature plutôt indépendante mais je suis sûr que ça n’est pas un obstacle insurmontable.