Des larmes étanches
Je me souviens. Il est mort un vendredi en début de matinée, comme mon grand-père. C’est la première remarque que je me suis faite. Mon père m’a appelé au bureau pour me le dire, tout de suite. Après il reste la journée. Le soir je devais partir pour rejoindre Lili. J’y suis allé parce que j’avais envie d’être avec elle et parce que ça n’aurait rien changé de rester.
Ce jour là elle était venue me chercher à la grande gare. Plus tard elle m’a dit qu’elle avait cru que je voulais la quitter.
C’était en décembre et il faisait déjà nuit. Je crois qu’elle s’est arrêtée sur le bord de la route et m’a demandé ce qui se passait. Alors je lui ai dit. Je n’avais pas su avant.
Je crois qu’elle aurait voulu me consoler et je mourais d’envie de me jeter dans ses bras.
Je ne l’ai pas fait. Je n’ai pas osé. Je n’ai pas pu. Il y avait quelque chose de plus fort que mon envie de me réfugier contre elle qui m’empêchait d’assouvir cette envie. Je crois que j’avais honte de souffrir, je ne pouvais pas me le permettre. Mais je crois que ce n’était qu’une manifestation parmi d’autre de ce qui est vraiment au fond, tout au fond : la peur de déranger.
Ecrit comme ça c’est presque ridicule. Rationnellement ça me paraît l’être mais émotionnellement ça ne l’est pas du tout, au contraire.
Je me suis rappelé de cet épisode hier ou avant-hier et ce midi en discutant avec Séverine j’ai découvert qu’elle ressentait la même dichotomie entre le rationnel et l’émotionnel.
C’est très troublant de sentir que la résistance est à l’intérieur.
Rationnellement je sais que je n’avais pas de raison d’avoir honte ni d’avoir peur de déranger, je saurais l’expliquer à une personne qui me raconterait cet épisode dont je ne serais alors que le spectateur. Emotionnellement, lorsque je suis impliqué comme acteur, je suis incapable de me raisonner. C’est plus fort que moi. Je n’aime pas cette expression. C’est exactement ça. Parfois je ressens quelques traits de raison mais je reste contraint sans pouvoir appeler à l’aide.
Je crois que ce jour là quelque chose s’est rompu parce que je n’ai pas su attraper sa main.