Un écrivain américain
Il y a maintenant plusieurs années que Théophile m’a fait découvrir un écrivain américain nommé Richard Brautigan.
A l’époque il m’avait suggéré de lire Un privé à Babylone.
Je me souviens encore qu’il était intrigué par les quantités de bière ingurgitées par le principal personnage féminin sans que celle-ci ne se rende jamais aux toilettes.
Depuis lors, je fais des ricochets sur la poèsie si personnelle de Richard Brautigan en lisant une fois tous les ans ou tous les deux ans, un de ses ouvrages.
Je ne crois pas avoir déjà lu deux fois le même.
C’est ainsi que j’ai choisi L’avortement duquel je viens m’ébrouer ici.
“C’est bien d’être heureux”, a-t-elle dit. Elle prononçait le mot heureux comme si elle l’examinait de très loin, à travers un téléscope. Le mot était céleste sur ses lèvres, dépouillé de tout, galiléen.
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Son regard était tout droit, sans brisure ni cassure, et constant comme un immeuble plein de fenêtres planté au beau milieu du monde.
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Tout ça, c’est ça ! a dit Vida en montrant, d’un geste pluvieux, son corps.
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Poétiquement, je bougeai le creux de mon épaule comme les derniers vers d’un sonnet shakespearien. (”L’amour est un enfant; que ne l’ai-je point dit. Laissant croître à loisir ce qui toujours grandit.”) Et ce faisant, je ployai l’arc de son dos jusqu’au lit.
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Elle m’embrassa de nouveau, mais cette fois avec la langue. Sa langue se glissait le long de ma langue comme un morceau de verre chaud.
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Au bout d’un moment, nous étions dans un tel état de décontraction qu’une agence aurait pu nous faire passer pour un champ de pâquerettes et nous mettre en location.
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Sa beauté, comme un animal, était assez cruelle dans son genre.
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J’ai regardé l’aile juste dessous. Les rivets avaient l’air affreusement gentils. Comme s’ils ne feraient de mal à personne, mais ne tenaient pas grand-chose non plus.
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Je suis allé jusqu’au téléphone accompagné de Vida qui, chemin faisant, étalait parmi les hommes la plus totale confusion érotique comme si c’était de la confiture de missiles.
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Sans que je sache bien pourquoi le geste pluvieux m’a paru particulièrement expressif.