Quelques mots sur les mots

J’écris et c’est déjà fini. L’écriture est comme la photographie : on ne peut pas plus saisir le présent que l’eau qui coule. Vous pouvez tendre votre récipient pour recueillir l’eau mais vous n’y retrouverez pas le mouvement. Il s’est volatilisé à l’instant où l’eau a touché le fond du récipient.

J’écris mais c’est déjà fini. Je décris mais ça a déjà changé. L’écriture n’est qu’un palliatif, une béquille, un pis-aller, un expédient. Pourquoi écris-je ? A qui écris-je ? J’écris parce que je ne peux pas dire. Ecrire pour être éternel ? Ecrire pour survivre à sa propre mort ? Graver mes mots comme autant de morceaux de moi dans la pierre car la pierre durera plus longtemps que moi, c’est une certitude : on l’utilise pour faire les tombes. Non. Si l’on veut se survivre il ne faut pas écrire il faut faire des enfants. Il faut parler aux autres. Il faut marquer les autres. Il faut placer de soi en eux pour se transcender. On ne peut vivre et se survivre qu’à travers les autres. Je sais à qui je parle, j’ignore qui me lit. Il n’est pas toujours aisé de déterminer ce que mes paroles vont déclencher chez l’autre qui me fait face alors ce que mes mots peuvent déclencher chez celui que je ne connais pas, dont je ne verrai jamais le visage…

Je veux dire pour que les mots restent en toi, pas sur une feuille mais en toi. Que faire d’eux sur une feuille ? Pourquoi faire ? Les dire, les faire siens et être à travers eux. On peut être lu par des milliers, au fond on n’écrit jamais que pour une ou deux ou quelques personnes. Le reste ce sont des coïncidences, des hasards, des accidents, des méprises, des erreurs, des coups de chance. Nous sommes désespérement attachés à la Terre, notre corps et nos sens nous amarrent au monde matériel et aux autres. On écrit parce qu’on ne peut pas dire et par extension pas montrer. Les écrits sont des instructions qui s’ignorent plus ou moins. Voici mon expérience, si vous pouvez en faire quelque chose… Les épitaphes, les frontispices, les adages, les proverbes, les devises n’acquièrent leur portée qu’à travers l’action pour laquelle ils font office de tuteur. Il faut incarner les textes, les faire vivre. Gloire aux arts vivants. On ne communie pas dans l’écriture mais dans la parole et dans les actes. Un texte n’est jamais si fédérateur qu’il est lu à voix haute. Il faut redonner mouvement à l’eau qui sommeille dans son récipient. Il faut asperger la foule. Ce n’est que l’eau ! Toutefois ne renversons pas tout (si vous me permettez l’expression) : celui qui jette de l’acide sur la foule est un criminel. Dans les faits on lance de l’acide sur quelques personnes ou, mieux, une seule, et la foule regarde le visage blessé grimacer.

Que je parle ou que j’écrive je dois détacher des fragments de moi. Pourtant c’est différent : je ne le ressens pas du tout de la même manière. En écrivant je me disperse aux quatres vents. Mes mots sont autant d’akènes au destin hasardeux que je perds sans savoir s’ils enrichiront un autre. Quand je parle mes paroles ne s’échappent pas ainsi. Elles m’échappent, elles glissent, tournent, errent dans les méandres intérieurs de l’autre, si tant est qu’il me fasse la grâce de m’écouter, mais elles ne se dispersent pas. Pour moi la charge émotionnelle est infiniment plus intense lorsque celui qui reçoit mes mots est en face de moi. Ils sont à peine détachés de moi, nous sommes dans le mouvement, simultanément. Lorsque j’écris mes mots se détachent de moi dans un premier mouvement auquel fera écho, plus tard, le son mat et la plupart du temps inaudible pour moi de la réception par un hypothètique lecteur. En revanche quand je parle mes mots et ce qu’ils symbolisent, car c’est évidemment là ce qui compte, se détachent et sont reçus d’un même mouvement. Ils ne stagnent pas dans un récipient cerné d’un mouvement fantôme attendant qu’on les libère. Nous sommes pris dans un même mouvement.

Il n’est aucun flash assez puissant pour prendre des photos de son intérieur alors on écrit. Je ne peux pas décrire ce qui passe en moi autrement qu’avec des mots. Vous ne verrez donc jamais que des photos floues, mal cadrées, sur ou sous-exposées. Pour faire de beaux tirages il me faudrait pouvoir décrire mes sentiments avec vos mots. C’est impossible. L’écriture comme la photographie n’a de force qu’en ce qu’elle constitue un catalyseur pour l’observateur chez qui elle stimule des sensations qu’ils possèdent déjà et qui ne possèdent aucun lien prédéterminé avec le texte. A mes quelques mots répond un écho que j’ignore et que je ne saurais deviner, espérer tout au plus. Un écho qui résonne en vous composé de fragments que vous avez faits vôtres en les glanant ici et là.

L’écriture comme des photos d’un pays lointain où l’on n’ira jamais. On en nourrira son imagination, on en rêvera les couleurs, les odeurs et les sons, les regards, les goûts et les envies, on se l’appropriera jusqu’à ne plus pouvoir le reconnaître physiquement en y posant le pied. Il faut le connaître dans sa chair pour pouvoir le reconnaître et le retrouver.

Enfin bon, ce ne sont que des mots tout ça…

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