Archive pour février 2007

Au fond du tiroir

Lundi 5 février 2007

Encore des brouillons de passages recopiés, dans l’ordre où je les retrouve. Toujours le syndrôme des cailloux dans l’eau que j’avais décrit il y a longtemps, je ne sais plus quand.

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Quelques mots lu dans un passage trouvé parmi les notes du dernier roman inachevé d’Albert Camus, Le premier homme :

Etre épris d’absolu, et dans ce cas on cherche à cultiver l’impossible.
*

Parce qu’après avoir beaucoup cultiver l’impossible, qui est, au demeurant, une plante stérile, je suis curieux de savoir pourquoi on est épris d’absolu.

*
L’amour courtois entendait retarder indéfiniment la rencontre amoureuse. La dame soumettait le chevalier à toutes sortes d’épreuves. Il lui fallait triompher dans de nombreux tournois, affronter de nombreux monstres qui, par bonheur, en ce temps-là peuplaient la terre. Le galant ne se rebiffait pas : trouvait-il du plaisir dans cette errance amoureuse ? Désirait-il que l’Aimée demeurât inaccessible ? Redoutait-il une vie conjugale plutôt morne ? L’attente que nous évoquons ne se détourne pas de l’événement dont elle a le souci. Bien au contraire, elle le pressent et nous en offre les prémices.

Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur
*

Je l’ai lu peu de temps après L’amour et l’occident de Denis de Rougemont qui m’a marqué.

Ce paragraphe aborde le sujet de l’autre ouvrage et me semble devoir être rapproché de la phrase d’Albert Camus ci-dessus.

*
Sans doute, l’intelligence consiste-t-elle à pouvoir cumuler des idées contradictoires, sans pour autant perdre sa capacité à vivre, à penser, à agir. Savoir, par exemple, que tout est destiné à mourir, et croire en même temps à l’avenir comme un enfant qui ne sait pas encore. Mais voilà : il ne peut plus continuer ainsi. Les deux vies qu’il mène sont fondamentalement incompatibles. Entre les deux, même s’il s’en sent incapable, il doit choisir.

En géométrie, une ” sphère ” est une surface dont tous les points sont à égale distance du centre.

Tristan est prisonnier d’une sphère, puisque tous les objets désirables qui l’entourent se trouvent à égale distance de son moi. Il ne parvient pas à savoir celui qu’il préfère.

Cette sphère est la figure de l’immaturité moderne. Elle positionne l’être comme un enfant dans le ventre de sa mère, et, à travers cet état d’incertitude permanente, c’est notre propre commencement que nous recherchons.

” Au commencement était le verbe “, écrit Saint Jean. ” Et le verbe était Dieu “. Mais qu’y a-t-il de divin dans le commencement ? Un bébé est probablement plus proche de Dieu que n’importe quel homme, fût-il saint. Car il est une pure potentialité : il peut encore tout devenir, puisque rien n’a encore commencé. Et la modernité, me semble-t-il, est hantée par le fantasme de se maintenir dans cet état de pure possibilité. Je voudrais pouvoir tout devenir. Ne fermer aucune porte sur l’infini des possibles. Nous en venons à tout désirer, tout et son contraire. Mais désirer tout et son contraire, cela revient à ne rien désirer du tout, et à sortir de l’existence.

Nous voulons cette femme, et toutes les autres ; cette vie, et toutes celles qui lui sont radicalement opposées. Nous recherchons avec frénésie ce monde où rien ne daignait s’actualiser, celui qui précède d’un instant la naissance - et comme cela est structurellement impossible, nous développons une violence démesurée contre nous-mêmes et contre les autres.

Les amants du n’importe quoi, Florian Zeller
*

Un extrait que je rattacherai volontiers aux précédents. Je ne les avais pas regroupés par hasard.

C’est curieux, j’ai eu une discussion il y a quelques semaines au cours de laquelle nous avons abordé cette question de la volonté de maintenir les possibles même en sachant que ce n’est qu’une illusion. Je ne me suis pas souvenu de ce passage. Il aurait été intéressant de pouvoir en parler, je crois.

J’ai l’impression confuse que le cultiver l’impossible de Camus est beaucoup plus proche de cette envie d’infinité de possibles qu’on ne le croirait.

Je ne parviens pas à le formuler mais je sens qu’il existe un lien étroit entre les deux.

C’est là peut-être qu’il faut le chercher ce lien :

Mais désirer tout et son contraire, cela revient à ne rien désirer du tout, et à sortir de l’existence.

C’est cultiver l’impossible que de vouloir absolument tout. Mais cultiver l’impossible c’est également une façon de se maintenir dans l’illusion de l’infinité des possibles.

Cultiver l’impossible pour ne surtout pas entrer dans un possible quelconque qui en ferait instantanément disparaître une multitude d’autres qui sont incompatibles et anéantirait l’illusion que tout est possible.

Pour ne pas ressentir la pesanteur du possible.

Ne rien commencer pour que rien ne se termine.

Cultiver l’impossible pour se protéger de l’angoisse insupportable de la disparition des possibles jusqu’au dernier.

Il ne s’agit pas de sortir de l’existence mais au contraire de refuser d’y entrer justement parce qu’il faudra en sortir.

*
” Prenons d’abord la sexualité “, continua le robot. ” On sait que la forme la plus intense d’amour sexuel est le désir incestueux. L’inceste est le tabou le plus répandu de l’univers et le désir grandit avec l’importance de l’interdit. Amalité créa donc sa soeur, Boril. Le second ingrédient propre à exciter l’amour jusqu’au délire est la passion pour un être mauvais, quelqu’un que vous ne pourriez que haïr si vous ne l’aimiez pas autant. Alors, Amalité fit de Boril une chose abjecte qui commença à tout détruire dès sa naissance; à réduire en poussière ce qu’il avait mis des siècles à ériger. “

Mali murumura : ” Comme Heldscalla, par exemple. “

” Oui Madame “, acquiesça le robot. ” Or le troisième plus fort stimulant de l’amour est de désirer quelqu’un de plus puissant que soi. Voilà pourquoi Amalita offrait à sa soeur le pouvoir de faire s’écrouler un à un ses édifices. Il essaye d’intervenir, mais, ainsi, qu’il l’avait voulu, elle était maintenant trop forte pour lui. Enfin, le dernier élément : l’objet d’amour force son prisonnier à descendre à son niveau, à vivre dans un environnement aux lois perverses. C’est pour cela que vous devez plonger un à un dans ce monde sous-marin où les règles d’Amalita n’ont plus cours. Même Glimmung sera obligé de s’enfoncer dans le bourbier qu’a préparé Boril, là où tout n’est que simulacre, caricature de la vie. “

” Je croyais que Glimmung était une divinité “, fit Joe. ” Il a un pouvoir tellement grand. “

” Les divinités ne tombent pas à travers les planchers. “

” Cela semble raisonnable”, admit Joe.

” Il faut prendre en compte des critères absolus “, continua le robot. ” Par exemple, l’immortalité. Amalita et Boril sont immortels; Glimmung non. Un second critère serait… “

” Nous connaissont les deux autres critères “, l’interrompit Mali. ” Une puissance sans limite et un savoir universel. “

” Alors, vous avez lu mon opuscule “, affirmat Willis.

” Doux Jésus !” lança Mali, méprisante.

” Vous venez de mentionner le Christ “, continua le robot. ” C’est une divinité intéressante parce qu’elle n’a qu’un pouvoir limité, une connaissance partielle, et qu’elle est morte. Elle ne remplit aucun des critères. “

” Comment expliques-tu le christianisme, alors ? ” fit Joe.

” Il est apparu parce que le Christ a utilisé ses limites et il s’est inquiété pour les autres. L’ ” inquiètude ” est la véritable traduction du grec agape et du latin caritas. Les Christ se tient les mains vides ; il ne peut sauver personne il ne peut même pas se sauver lui-même. Et pourtant, par son attention véritable, son intérêt pour les autres, il transcende… “

” Donnez-nous simplement votre texte “, fit Mali, submergée par le flot d’arguments. ” Nous en prendrons connaissance à un moment perdu. Mais maintenant nous allons sous l’eau. Préparez le matériel comme M. Fernwright l’a ordonné. “

” Il existe sur Beta 12, une divinité assez proche “, continua le robot imperturbable. Elle a appris à mourir chaque fois qu’une créature s’éteint. Elle ne peut pas mourir à leur place, alors elles les accompagne. Mais avec chaque nouvelle créature, elle renaît, restaurée. Elle a connu ainsi un cycle infini de naissances et de morts, à la différence du Christ qui n’a péri qu’une seule fois. J’en parle aussi dans ma brochure. En fait, tout est contenu là-dedans. “

” Alors tu es un Kalende “, dit Joe.

Le robot le regarda longuement, en silence.

” Et ton opuscule est le livre des Kalendes. “

” Pas exactement “, répondit enfin le robot.

” Qu’est-ce que ça veut dire ? ” demanda violemment Mali.

” Cela veut dire que je me suis inspiré du Livre des Kalendes pour mes divers ouvrages. “

” Et pourquoi ? ” fit Joe.

Le robot hésita, puis répondit : ” J’espère être un jour écrivain professionnel. “

” Sortez le matériel “, ordonna Mali qui se sentait complètement épuisée.

Une pensée étrange erra quelques instants dans l’esprit de Joe, née peut-être de la discussion sr le Christ. ” L’inquiètude “, dit-il tout haut, en écho lointain des mots du robot. ” Je crois savoir ce que tu veux dire. Une chose étrange m’est arrivée un jour sur Terre. Ce n’était pas grand chose : j’ai sorti du placard une tasse dont je ne me servais jamais. J’y ai trouvé un araignée morte de faim ; de toute évidence, elle était tombée au fond de la tasse et n’avait plus pu en sortir. Mais voilà où je voulais en venir. Elle avait tissé du mieux possible une toile sur les parois du récipient. Lorsque je l’ai déouverte avec son fragile édifice de la désespérance, j’ai pensé à son travail inutile. Elle aurait pu attendre jusqu’à la fin des temps, nulle mouche ne serait entrée là. Elle est morte en sentinelle, dans un effort désespéré pour s’accomoder d’un environnement mortel. Je me suis demandé si elle savait qu’elle était perdue. Si elle filait sa toile inutile en connaissant la fin. “

” Les petites tragédies de l’existence “, fit le robot. ” Des milliards chaque jour, inaperçus de tous sauf de l’oeil de Dieu qui sait tout. C’est tout au moins ce qu’affirme mon opuscule. “

” Je comprends ce que tu veux dire quand tu parles de ” l’inquiètude “. L’attention pour l’autre serait encore plus proche. J’ai eu l’impression que le terme s’adressait à moi. Il me mettait en question. Caritas. Ou en grec… ” Il ne se souvenait plus du mot.

” Alors, on descend ? ” demanda Mali.

” Oui “, répondit Joe. Elle ne comprenait pas. Bizarre, qu’il faille que ce soit un robot qui me comprenne. Qu’un assemblage de métal puisse être plus sensible qu’un être humain. Peut-être la caritas est-elle fonction de l’intelligence ? Peut-être sommes-nous toujours trompés et la caritas n’est pas un sentiment, mais une forme élevée de l’activité cérébrale, la capacité de percevoir des signes imperceptibles dans l’environnement… et de s’en inquiéter ? C’est de la cognition, rien de plus. Et cela contredit l’opposition entre la pensée et l’émotion. Tout est cognitif.

Le guérisseur de cathédrales, Philip K. Dick
*

Ca faisait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman de Philip K. Dick auquel je m’étais beaucoup intéressé lorsque j’étais plus jeune.

Je dois admettre que j’ai perdu le goût.

Je crois aussi que j’ai dû lire ses meilleures productions à l’époque. Ce que je peux lire aujourd’hui est donc logiquement un peu décevant outre le fait que j’ai vieilli.

Je le trouvais parfois totalement délirant et j’en suis venu à me demander à quelques reprises s’il n’existait pas un risque sérieux de développer une schizophrénie en lisant trop ses livres.

Le passage que j’ai relevé me semble bien long.

J’avais peut-être été interpellé par d’autres choses lorsque je l’ai recopié mais en le relisant je retiens essentiellement les passages relatif à l’inquiètude et le dernier paragraphe.

Le dernier paragraphe parce que l’idée me paraît intéressante, assez typique de Dick par ailleurs. Le pragraphe est sans doute trop court mais ce pourrait être un bon point de départ de discussion.

Les passages relatifs à l’inquiètude sur lesquels je n’épiloguerai pas m’interpellent profondément car cette inquiètude est chez moi le corollaire perpétuel de l’affection qui la suit comme une ombre.

Nom féminin singulier

Dimanche 4 février 2007

La dépendance c’est lorsqu’il n’existe aucun substitut à la frustration qu’engendre un besoin travesti en envie insatisfaite.

La dépendance est parfois un nom féminin singulier comme le précisent les dictionnaires mais pas toujours.

C’est peut-être là un indice que les dictionnaires sont rédigés par des hommes.

Dans le même ordre d’idée…

Dimanche 4 février 2007

… il faut que je cesse de faire des brouillons qui pourrissent dans blogger.

J’écris ou j’écris pas mais les brouillons, c’est sans intérêt.

Ca fait des mois que ces quelques lignes traînent. Je suppose que je devais prévoir de rajouter quelque chose mais je ne me souviens plus quoi.

*
Je crois que je me fais draguer à mon cours de danse. Ca faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

- Tu as quel âge ?
- Trente ans.
- Et elle a quelle âge ta petite amie ?
- Vingt sept ans. Ce n’est pas ma petite amie, c’est ma soeur.
- Vous dansez comme un couple. Ca fait longtemps que vous dansez ensemble ?
- Plusieurs années. C’est vrai qu’en plus nous ne nous ressemblons pas. Moi, je ne peux pas te demander ton âge. On ne demande pas son âge à une femme.

Les interrogations à propos de Calliope sont souvent un signe d’intérêt de la part des curieuses.

Je soupçonne qu’elle est un peu plus âgée que moi mais je ne saurais pas dire de combien d’années.

J’aurais dû répondre la même chose que lorsqu’elle m’a demandé mon prénom : Et toi ?
*

C’est curieux de relire ça parce que ce n’est absolument plus d’actualité mais c’est instructif parce que c’est un (tout petit) exemple de comportement adopté par égard pour mon interlocuteur qui n’est pas conforme à ce que je voudrais faire au fond. Je peine à résoudre cette contradiction récurrente.

Je me suis posé la question pendant plusieurs semaines d’affilée par la suite tout en me disant que je ne gagnais pas toujours à museler ma curiosité. En tout état de cause, ce n’est sans doute pas la meilleure façon de m’en accomoder.

Dans ma poche

Dimanche 4 février 2007

J’ai une fâcheuse tendance à recopier, le plus souvent sur des morceaux de papier, des choses que je lis qui me plaisent ou bien une poignée de mots auxquels je pense.

Ainsi, je retrouve parfois dans une poche une feuille sur laquelle je me relis. Je me souviens toujours de l’endroit où je l’ai noté et, le cas échéant, de ce que j’avais lu. En revanche, je ne me souviens pas toujours de l’idée que cela avait éveillé chez moi et que je n’ai pas notée.

Ca fait des semaines que je traîne de pantalons en pantalons cette feuille pliée en huit (je les plie souvent de la même façon) sur laquelle je relis :

Le divertissement est un besoin vital.

Il s’agit du slogan d’une publicité de Vivendi que j’ai vue dans le magazine que j’avais acheté avant de prendre le train quand je suis parti en vacances.

J’avais pensé qu’une foule de gens n’avait pas accès à la satisfaction de ce besoin vital. Ensuite, il m’a semblé qu’il y avait plusieurs autres besoins vitaux qui auraient mérité d’être listés avec le divertissement.

Enfin, je ne suis pas certain que la civilisation des loisirs soit un tel progrès.

Rôle d’abandon
Il n’y aura aucune raison de paniquer.

Rôle d’incendie
En tout état de cause, éviter de paniquer

Les rôles d’abandon et d’incendie affichés à bord du navire qui faisait la liaison avec l’île où je suis allé en vacances se concluaient chacun sur la phrase que j’ai relevée.

Cela m’avait fait sourire.

Je ne comprenais pas pourquoi la conclusion du rôle d’abandon est plus optimiste que celle du rôle d’incendie. En effet, dans un cas il n’y aura aucune raison de paniquer tandis que dans l’autre il faudra éviter de paniquer, ce qui signifie qu’il peut exister des raisons de céder à la panique.

De surcroît, la traversée d’à peine cinq minutes donnait un caractère futile aux instructions mentionnées.

“Je n’ai jamais douté de la vérité des signes, ils sont la seule chose dont l’homme dispose pour s’orienter dans le monde. Ce que je n’ai pas compris, c’est la relation entre les signes.”

Frère Guillaume à Adso son disciple dans “Le nom de la Rose” d’Umberto Eco

Relevé dans le même magazine que ci-dessus. Je ne sais plus de quoi traitait l’article que cet extrait venait illuster.

J’ai le même problème. Non seulement il faut percevoir les signes mais ensuite il faut parvenir à les relier entre eux et à les interpréter.

Autant d’embûches quotidiennes.

J’en viens parfois à me demander s’il ne vaudrait pas mieux que les signes m’échappent systématiquement plutôt que de les pressentir mais de ne rien savoir y comprendre.

La chanson du dimanche

Dimanche 4 février 2007

Chaque dimanche, une chanson ou un morceau de musique qui appartient à une ou plusieurs de ces trois catégories :

qui me fait frissonner : discrètement mais immanquablement, parfois depuis plusieurs années.

qui m’(a) obsède(é) : ça ne dure toujours qu’une période, relativement courte, de quelques heures à quelques semaines, qui, parfois, peut se renouveller.

qui me rappelle… : quelques minutes de musique associées à quelques minutes ou plus de vie passée.

Vinegar & salt, Hooverphonic
extrait de The magnificent tree / 2000

Vinegar & salt, Hooverphonic
extrait de Sit down and listen to / 2003

[Le dernier album d’Hooverphonic, No more sweet music, est un double album dont les deux disques présentent des versions différentes des mêmes morceaux.A la manière de ce dernier opus, voici deux versions de la même chanson : celle de l’album d’origine et une version acoustique enregistrée ultérieurement.]On m’a dit il n’y a pas très longtemps que l’idéal serait de pouvoir toujours être complétement soi-même en toutes circonstances. Un bel d’objectif vers lequel tendre dans la vie.J’avais répondu que je ne croyais pas que cela soit possible, tel que je l’avais alors compris, pour la simple raison que nous avons tous des paradoxes et des contradictions qui par essence même ne peuvent pas s’exprimer simultanément.

Nous ne pouvons donc jamais être entiers.

Pour ma part, j’ai tendance à m’adapter à mon interlocuteur. Je crois que notre comportement est conditionné en partie par les personnes avec lesquelles nous nous trouvons et qui stimulent plutôt telle ou telle part de nous-même.

Toutefois, je crains que ce comportement ne soit souvent exacerbé chez moi.

Je soupçonne que ma préférence pour les situations où je n’ai affaire qu’à peu de personnes à la fois, idéalement une, en est le symptôme.

En y repensant, je crois que ce n’est qu’une histoire de mots en définitive.

La mise en avant de l’un ou l’autre aspect de notre personnalité au gré de nos contradictions provoque autant de contrastes qui sont toujours nous.

A priori, nous sommes donc toujours entiers puisque nous exprimons toujours ce que nous sommes y compris en nous suradaptant à l’autre au point d’étouffer des parts importantes de nous-mêmes.

C’est le genre de paradoxe tragique qui finit par éroder l’entièreté.

Cinéma

Dimanche 4 février 2007

En dépit des critiques qui me semblaient peu élogieuses, je suis allé voir Cashback dont la bande annonce avait attisé ma curiosité.

Je ne regrette pas.

C’est une comédie romantique originale, genre pour lequel j’ai une faiblesse inavouable, dans laquelle il y a notamment une partie de football qui m’a fait rire, ce qui ne m’était pas arrivé depuis un moment au cinéma.

Je n’ai réalisé que vers la fin qu’il s’agissait d’un film anglais et non américain comme je le croyais. Ceci explique peut-être l’originalité que je lui ai trouvé.

Les lumières de la ville

Vendredi 2 février 2007

Je sors trop tard du bureau et j’en ai marre. Je n’ai pas trop envie de rentrer à la maison non plus…

Je décide de rentrer doucement. Je prends le bus pour faire une promenade.

Je regarde les lumières de Paris en écoutant un album que je ne connais pas bien.

Et je pense. Parfois je me dis que l’idéal serait que ça s’enregistre au fur et à mesure.

Mais pour quoi faire ? Pour qui ?

Même moi je n’aurais pas envie de le relire.

Je me demande pourquoi diable j’ai rêvé que je trouvais une toute petite souris et que, ne sachant pas quoi en faire, je la jetais vivante à la poubelle en me demandant ce qu’elle allait bien pouvoir devenir.

En ce moment je pense à une chanson en sortant de la maison le matin. Jamais la même et sans que je sache jamais ce qui m’y a fait pensé.

Ce matin je suis sorti avec She’s leaving home des Beatles.

Pourtant nous ne sommes même pas mercredi.

Elle a laissé une note elle aussi.

Une connaissance de ma grand-mère s’est suicidée cette semaine.

Un vieux paysan qui s’est abattu.

Je ne l’aurais pas imaginé de la part de ce vieux bonhomme placide qui avait toujours vécu seul.

Il a laissé un mot pour demander pardon.

Il me semble que c’est assez fréquent chez les gens qui mettent fin à leurs jours de demander pardon.

Ils seraient bien restés mais ils ne peuvent que demander pardon.

Pourquoi ?

Pour la vie ? Même si ce n’est qu’un tout petit peu de vie, c’en est belle et bien.

Ceux qui disposent de la vie des autres demandent-ils autant pardon ?

Pour le petit peu d’espoir ? Parce que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Peut-être qu’il n’y a plus d’espoir justement et qu’ils l’ont senti. Alors ils font le dernier pas plutôt que d’attendre d’être emportés.

C’est même pas toi qui est en avance, C’est déjà moi qui suis en retard chantait Jacques Brel.

Etymologiquement espérer signifie attendre. Ils ne peuvent plus attendre, ils n’ont plus rien à attendre sinon ce qu’on ne peut pas attendre.

On ne peut pas vivre en attendant la mort.

Je me souviens d’un passage d’une nouvelle de Jean-Paul Dubois…

Il y a encore un marque page dans l’exemplaire que j’attrape.

La nouvelle tirée du recueil Vous aurez de mes nouvelles est intitulée Mon histoire.

Elle contient ce paragraphe :

J’aurais aimé être architecte. Parce que j’aime les maisons. Généralement, elles ont une vie bien plus longue que celle des hommes. Je me suis souvent demandé si les bâtisseurs construisaient avec l’idée que leur travail était voué au délabrement et à la ruine. Je crois que non. On n’édifie pas avec la conscience du délabrement. On ne fait pas un enfant en se répétant que l’on met au monde un petit mort. Non, on doit agir dans une sorte de transe et d’inconscience temporelle. Dès que l’on perd cet état de grâce, dès que l’on acquiert la perception aiguë de ses limites, de sa dimension dans l’espace et les années, on ne peut plus agir. Ni pour, ni contre. On attend. On se fige, on ne bouge plus, comme une bête aux portes de l’abattoir. Pour bâtir, il faut croire. Jamais je n’aurais pu être architecte.

Ce passage continue de me déprimer lorsque je le relis.

Pourtant, en vacances, la fille d’Harry et Juliette m’a vraiment donné envie d’avoir des enfants pour la première fois.

Je n’ai jamais repoussé l’idée d’avoir des enfants. Au contraire, j’ai le sentiment que s’il y a bien une chose à faire dans la vie, c’est des enfants.

Toutefois, je n’en avais jamais vraiment ressenti l’envie de façon aussi spontanée, irréfléchie.

Il faudrait trouver une femme qui provoque la même sensation chez moi.

Passé trente ans, il y a les femmes à qui vous ne plaisez pas. Vous ne leur plaisez pas. Point. Comme avant mais, de surcroît, elles n’ont plus de temps à perdre et ne chercheront donc pas plus avant.

Celles à qui vous plaisez, sous réserve que ce soit réciproque, commencent à penser que si vous êtes seuls à votre âge, a fortiori sans ex-femme, sans enfants et même sans ex-concubine, c’est qu’il y a un problème.

Vous leur plaisez alors moins, soit qu’elles s’inquiètent suffisament l’hypothètique problème pour s’éloigner, soit qu’elles entreprenent de partir à sa recherche pour revenir déçue de ne rien avoir trouvé à la hauteur de leur attente.

Les traumatismes des autres sont souvent décevants. Il me semble que l’on devrait pourtant s’en réjouir.

Evidemment ma mère préfèrerait ne pas me voir seul.

Mais le problème c’est que moi aussi je préfèrerais ne pas me voir seul. Ce qui n’a pas toujours été vrai.

J’avais besoin d’être seul. Je crois que j’aurais toujours regretté de ne pas avoir vécu seul.

Seulement, ça a changé.

Je conserve une nature plutôt indépendante mais je suis sûr que ça n’est pas un obstacle insurmontable.